Alexis Werl : le Procureur veut procéder à toutes les investigations nécessaires avant de décider soit de retirer les charges qui pèsent sur Monsieur Strauss-Kahn, soit, au contraire, de poursuivre. Il est soumis à des pressions contradictoires : d’un côté, les failles du dossier et les incohérences dans les déclarations de Madame Diallo incitent le Procureur à renoncer aux poursuites ; de l’autre, Madame Diallo et ses avocats ont lancé une offensive médiatique de grande ampleur, s’appuyant sur des relais communautaires new-yorkais et en appelant à l’opinion publique, pour le pousser jusqu’au procès. Dans une affaire avec un tel retentissement médiatique, Cyrus Vance joue sa crédibilité. Sa décision doit donc être mûrement réfléchie.
A. W. : Aux Etats-Unis, les procédures civiles et pénales sont indépendantes les unes des autres. On peut être condamné par une juridiction civile quand bien même on a été innocenté par une juridiction pénale. L’exemple le plus célèbre de ce cas de figure est l’affaire O. J. Simpson. Ce n’est pas le même jury qui se prononce au civil et au pénal, et la preuve exigée n’est pas la même. Une « prépondérance de preuves » suffit en matière civile : pour engager la responsabilité civile d’une personne, le jury doit être persuadé que les preuves en faveur de sa responsabilité sont plus importantes, plus convaincantes, que les preuves en faveur de sa mise hors de cause. En matière pénale, le critère est plus strict : la culpabilité doit être prouvée au-delà d’un doute raisonnable. Dans tous les cas, en l’absence de condamnation pénale, aucune peine d’emprisonnement n’est possible. La sanction en matière civile est pécuniaire.
A.W. : Cette exposition médiatique est dangereuse pour Madame Diallo, qui prend le risque de se contredire, de présenter de nouveaux angles d’attaque à ses adversaires et d’aggraver la fracture qui semble s’être creusée entre elle et le Procureur. La stratégie la plus classique, et la plus fréquente, est celle qui est suivie par la défense de Monsieur Strauss-Kahn : la discrétion des parties jusqu’au procès.
A.W. : Ce rôle n’est pas encore défini, et Mademoiselle Banon n’est pas obligée de répondre à la convocation de la justice américaine. En outre, même si elle acceptait de témoigner directement aux Etats-Unis, son témoignage ne serait pas forcément admissible. En effet, au regard de la jurisprudence applicable en la matière, il est probable que ce témoignage ne sera pas jugé comme une preuve pertinente. Pour que l’évocation de faits criminels ou délictueux antérieurs, soit jugée admissible, encore faut-il que ces faits présentent suffisamment de similitudes avec les faits de l’espèce en cause. Or, il apparaît que les faits décrits par Mademoiselle Banon -une garçonnière, un entretien privé entre deux personnes qui se connaissent déjà -, sont différents des faits décrits par Madame Diallo. A supposer même qu’ils soient établis, ce qui n’est pas le cas, ils ne permettent pas d’établir de mode opératoire. Par ailleurs, et c’est un élément important, l’affaire Banon n’a pas été jugée en France. Elle est donc d’un maniement délicat pour le Procureur Vance.
A.W. : Cette affaire est très médiatisée mais n’est pas, juridiquement, d’une grande complexité. Si Cyrus Vance décide d’aller au procès, celui-ci pourrait se tenir avant la fin de l’année. Mais encore une fois, je crois qu’il faut être très prudent, au regard des failles et des contradictions qui sont progressivement apparues dans le passé et les témoignages de Madame Diallo. Il y a une probabilité forte pour que le Procureur n’aille pas jusqu’au procès.
Image : ABC NEWS
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