Shirin Ebadi est intervenue ce matin lors du Women’s Forum dans une session consacrée au rôle des femmes dans les révolutions arabes. Après une discussion entre des représentantes tunisiennes, égyptiennes et yéménites, le prix Nobel de la paix 2003 a créé la surprise dès l’ouverture de son discours, en interpellant directement les actrices du Printemps arabe : « Vous avez commis les mêmes erreurs que les Iraniennes », a-t-elle déclaré, « Vous avez dit ce que vous ne vouliez pas, mais vous n’avez pas dit ce que vous attendiez ». Elle s’est ensuite exprimée lors d’une conférence de presse.
Shirin Ebadi : Je suis très heureuse qu’il soit question des pays musulmans ces jours-ci, et j’espère qu’ils parviendront à la démocratie, leur mouvement peut par ailleurs aider notre pays. En Syrie, la répression de Bachar Al-Assad est soutenue par un seul pays de la région : l’Iran, qui a envoyé ses forces armées en Syrie, parce que notre gouvernement craint l’avènement de toute démocratie qui pourrait être contagieuse.
S. E. : Le frémissement existe en Iran, même s’il n’est pas visible dans les rues. C’est le feu sous la cendre, et ces cendres peuvent être éparpillées à tout moment. Après la répression qui a suivi les élections de 2009, les gens ne sont plus descendus dans la rue, mais le mécontentement du peuple ne cesse de croître. Le peuple ne veut plus de violence, en 30 ans, notre pays a connu une révolution et huit ans de guerre contre l’Irak. Mais le peuple fait preuve d’ingéniosité pour continuer une révolution pacifiste. Par exemple, un groupe de jeunes est un jour descendu dans la rue, ils étaient tous très bien habillés, et se sont mis à laver les pare-brises, comme les petits mendiants du pays. Ils en ont profité pour parler aux automobilistes, en leur demandant s’ils comprenaient pourquoi il y avait de la mendicité dans un pays aussi riche que l’Iran. Ensuite ils ont remis l’argent collecté aux mendiants et se sont dispersés avant que la police arrive. Il y a beaucoup d’initiatives de ce genre aujourd’hui en Iran, l’opposition n’est pas morte et nous vaincrons.
S. E. : Depuis juin 2009, 44 avocats ont été poursuivis pour avoir défendu des prisonniers. Certains sont en prison comme Nasrin Sotoudeh, d’autres attendent d’être jugés. Ils n’appartiennent à aucun parti, ne sont pas engagés dans des ONG, leur seul crime est d’avoir exercé leur métier. Cela révèle bien la perte d’indépendance du système judiciaire iranien. Les juges sont devenus les instruments de la répression.
S. E. : Je remercie les médias occidentaux de soutenir Sakineh, mais il faut savoir qu’elle n’est pas seule. Ils sont 11, hommes ou femmes, à être condamnés à cette peine. Je voudrais que l’Occident se mobilise plutôt contre la lapidation, pour abolir ce traitement inhumain. Grâce à cette mobilisation, Sakineh est toujours en prison, et la sentence n’a pas été exécutée, et je ne pense pas que le gouvernement osera. Mais il faut garder à l’esprit que son avocat a été condamné à 5 ans de prison, son état de santé se dégrade, j’aimerais que l’on se mobilise aussi pour lui.
S. E. : Je suis tout à fait d’accord, la lutte pour la démocratie et les droits de l’homme doit être menée par chaque pays. Nous demandons seulement aux Occidentaux de ne pas soutenir les dictateurs arabes et leur corruption. Ils placent leurs fonds dans des banques européennes, achètent des châteaux en Europe pour passer leur retraite… Je leur demande de ne pas blanchir de l’argent sale.
S. E. : J’habite le continent des aéroports, je voyage 300 jours par an. J’ai quitté l’Iran en 2009 pour 3 jours, et je n’ai pas pu rentrer depuis. Mon bureau, l’ONG que j’ai créée, et toute ma famille sont restés là-bas. Pour m’atteindre, le régime a arrêté mon mari et ma sœur qui n’ont pas d’activité politique. Mon mari a été torturé, il a dû reconnaître que j’étais un agent des occidentaux et cela a été diffusé deux soirs de suite à la télévision. Ils ont été libérés sous caution, mais leurs passeports ont été confisqués. Le régime espérait me faire taire, mais je lui ai répondu que malgré mon amour pour ma famille, j’aimais encore plus mon pays. Mes biens ont été confisqués, mes comptes gelés ; si je retourne en Iran, je ne sais pas où j’habiterai ! Le gouvernement m’a menacée de mort en promettant à ma famille qu’il me retrouverait, mais je n’ai pas peur de mourir, c’est ma réponse.
S. E. : Il est évident que des voix iront aux partis islamistes. C’est pourquoi les femmes tunisiennes doivent s’unir et renforcer la société civile. Elles doivent se préparer à raisonner les islamistes parce que c’est à elles qu’il reviendra d’interpréter l’Islam, pour empêcher qu’ils exercent une répression au nom de la religion. Les extrémistes ont toujours abusé de notre ignorance, plus que jamais les femmes doivent avoir une carte à présenter à ces adversaires-là.
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