Société
Tunisie : la modernité des femmes est un acquis à défendre
Publié le 21 octobre 2011 à 09:00
Par Marine Deffrennes
Franco-tunisienne et fille d’ambassadeur, Fériel Berraies-Guigny a mené son parcours de diplomate et de journaliste sans jamais oublier ses racines. Elle a suivi l’évolution du statut de la femme tunisienne avec passion, et travaille aujourd’hui pour le rayonnement de la mode éthique, vecteur de lien entre le Nord et Sud. Elle confie ses impressions sur la Révolution de jasmin et le rôle des femmes dans les élections à venir.
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Journaliste et criminologue de formation, Directrice de Rédaction de New African Woman et co-rédactrice en chef de New African, Fériel Berraies-Guigny, est aussi la fondatrice de l’Association « United Fashion for Peace » (UFFP), caravane de mode et média éthique on line qui met en valeur les créateurs et la mode éthique de la planète. L’objectif d’UFFP est de faire le lien entre le Nord et le Sud, de diffuser un message humaniste sur la paix et le développement durable à travers des défilés de mode et de participer à la promotion d’artistes et de créateurs dans le Monde.

Terrafemina : Née de père diplomate tunisien, ambassadeur du président Bourguiba, vous-même ancienne diplomate et actuellement journaliste, comment avez-vous vécu la Révolution de janvier en Tunisie ?

Fériel Berraies-Guigny : Ce fut pour moi une formidable bouffée d'espoir et surtout un grand retour à la dignité et à la fierté par rapport à ma tunisianité que je n'ai jamais oubliée, même en quittant mon pays et mon ancien poste de Conseiller des Affaires étrangères. A ma façon, j'ai fait une révolution tranquille il y a dix ans dénonçant par là même le traitement que j'avais subi et que continuent de subir les femmes diplomates en Tunisie l'avancement dans la carrière et les promotions restent aléatoires. En théorie, nous avons les mêmes droits, mais en réalité c'est une autre affaire. Ce qui a rendu le tout plus complexe, c'est aussi parce que je ne représentais pas l'image idéale du « 7 novembre », du camp Ben Ali ; j’étais Bourguibiste et trop idéaliste et éthique. J'ai fini par déranger. Je venais dans mon pays pensant amener le meilleur de ce que j'avais emmagasiné toutes ces années durant au travers de mes études en Occident, j'avais tant de rêves et d'ambitions pour mon pays et ses femmes ! Le destin a choisi mais je ne regrette rien pour autant.

TF : Vous avez grandi à l’étranger, et développé plusieurs carrières conjointes : criminologue, diplomate, journaliste et militante associative (droits des enfants, droits des femmes, laïcité). Comment percevez-vous l’évolution de la position de la femme en Tunisie ?

F. B.-G. : Si l'on regarde d'hier à avant la Révolution, on n’a pas à se plaindre tant il est vrai que le statut des femmes fut novateur et reste une référence pour le monde y compris le monde occidental. Mais notre marque de fabrique reste le Code du Statut Personnel qui date de 1956, et qui est le symbole d'une modernité au féminin. Promulgué sous Bourguiba et amélioré sous Ben Ali sous la pression des conventions internationales et des ONG féministes, cela a garanti l’unicité de la Tunisie et lui a donné une image à part sur la scène internationale. Les femmes tunisiennes de l'Antiquité à aujourd'hui ont toujours été au devant de la scène, nous avons toujours été un contre-exemple dans la région, démontrant que par la laïcité et la Constitution nous pouvions également garder notre identité arabo-musulmane tout en embrassant tous les avantages de la modernité. Aujourd'hui, nous nous battons encore pour garder ces acquis qui pourraient être en péril avec la venue de mouvances islamistes.

TF : Les premières élections démocratiques auront lieu dimanche en Tunisie, et ces élections seront paritaires. Quelle est votre souhait pour les femmes tunisiennes ? Où en sont-elles selon vous ? Sont-elles suffisamment politisées ?

F. B.-G. : « Pas de démocratie sans égalité », c'est un slogan qui résume la situation actuelle des femmes de la région. Depuis les secousses du printemps dernier, le combat des associations de défense des droits des femmes pour l'égalité est plus important que jamais. Nous sommes conscientes, toutes catégories sociales confondues, qu'il faut être vigilant pour préserver nos acquis. Cependant les événements sanglants en Egypte et certains débordements en Tunisie nous laissent craindre le pire ; nous souhaitons et espérons le meilleur car nous sommes très actives. Il faut éviter le retour à des archaïsmes d’un autre temps, il faut se battre pour que l'expression ne soit pas bâillonnée car cela fait partie des mécanismes de censure qui relèvent du passé. Aujourd'hui, les gens ont le droit d'être informés dans une Tunisie qui va vers les élections.

TF : Des islamistes fondamentaux se sont révoltés la semaine dernière contre le film iranien « Persepolis », de Marjane Satrapi, à cause d’une scène où Allah est représenté. En tant qu’ambassadrice de la mode et des artistes du monde, que pensez-vous de ce débat ?

F. B.-G. : Je pense que c'est un épiphénomène et il faut surtout se garder du sensationnalisme que certains médias pourraient apporter, il faut aussi arrêter de crier au loup car à force ils pourraient réellement venir. A froid, je dirais que nous sommes dans une Tunisie postrévolutionnaire qui se cherche encore car l'histoire est en cours. Par ailleurs, ceux qui doivent faire le contrepoids de l'islamisme ne sont pas dans une clarté convaincante. Tout le monde est en train de se positionner et il faut aussi laisser les vrais démocrates s'exprimer et s’en faire l’écho. La Tunisie est aujourd'hui libérée mais elle est très fragile, elle n'a pas eu l'aide économique nécessaire pour faire « ses choix ». Il y a un certain attentisme du Nord que l'on ne comprend pas. Il y a également une retenue des dirigeants politiques du Sud qui doivent craindre que leur trône ne vacille trop. Les incidents à Gafsa, Sousse et à Nessma TV à Tunis prouvent la précarité de la situation, mais c'est à nous de résister et de savoir les digérer, voire les dépasser. Il nous faut arriver aujourd'hui à mobiliser le peuple toutes catégories confondues, leur proposer des programmes qui leur donneront l'espoir d'un avenir constructif et meilleur. Et leur faire prendre conscience que le populisme, religieux ou politique, est une impasse qui ne propose souvent qu’un renfermement sur soi alors que l’avenir est à la compréhension et à l’ouverture aux autres.

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