Voilà des mois, depuis le 14 janvier, que les acteurs de la Révolution de jasmin attendent d’aller déposer un bulletin dans une urne, pour une élection en laquelle ils auraient confiance. Après 20 ans de dictature et d’élections truquées – l’examen des listes électorales sous Ben Ali a révélé la présence d’un million d’électeurs fantômes (morts)-, les Tunisiens vont-ils s’emparer de cette première étape vers la démocratie ?
Pour les organisateurs de l’élection de l’Assemblée constituante qui a lieu aujourd’hui en Tunisie, l’enjeu majeur réside bel et bien dans la participation à ce scrutin plusieurs fois reporté. Sur les 7 millions d’électeurs potentiels, seuls 3,5 millions auraient fait la démarche de s’inscrire sur les nouvelles listes électorales. Si les jeunes des villes semblent plus motivés que jamais pour aller voter, les observateurs se demandent si toute la population se sentira concernée. « Il y a des appels au boycott dans le pays, car certains ont peur des fraudes, et on constate aussi un manque d’intérêt », nous explique Linda, une jeune enseignante engagée dans la mise en valeur des listes indépendantes candidates aux élections, « ce sont les séquelles du régime de Ben Ali, nous avons été habitués à la passivité, et il est difficile pour certains d’en sortir pour aller chercher leur candidat», ajoute-t-elle.
Ennahda, premier parti du pays ?
L’apprentissage de la démocratie pourrait aussi passer par un vote refuge, vers le parti qui a su se rendre visible pour promettre de répondre aux préoccupations économiques des Tunisiens. Ennahda, le parti religieux islamiste, interdit sous Ben Ali , a réussi son come back. Pour les régions moins favorisées que les villes côtières, et pour les petites villes comme Sidi Bouzid, berceau de la révolution, la mobilisation pourrait jouer en faveur d’un parti qui a travaillé en profondeur sur le thème du respect de l’identité arabo-musulmane, de la précarité et du chômage, tout en s’affirmant ouvert aux enjeux démocratiques comme la liberté d’expression et la parité. Ennahda, piloté par Rached Ghannouchi, a mené une campagne efficace, puisqu’il est crédité de 25% des intentions de vote dans les derniers sondages, ce qui en ferait la première formation politique du pays. Une crainte de taille pour les partis démocrates comme le PDP (Parti démocrate progressiste) ou la coalition PDM (Pôle démocratique moderniste), qui dénoncent un double-discours. Ils n’auront certainement pas d’autre choix que de former des alliances pour faire contrepoids aux religieux au sein de l’Assemblée constituante.
5 à 6% de femmes têtes de listes
Autre point noir de ces élections, la parité. Si les sondages peuvent mentir sur la représentation des partis, et si finalement les candidats indépendants peuvent créer la surprise en raflant une bonne proportion de sièges, il est en tous cas certain que cette assemblée ne sera pas paritaire. Tous les partis ont bien présenté autant d’hommes que de femmes sur leurs listes, mais seul le Pôle démocratique moderniste est parvenu à respecter l’alternance hiérarchique entre hommes et femmes : « sur 33 listes, nous présentons 16 femmes têtes de liste, parce que nous nous y sommes engagés, et que nous savons bien que ce sont surtout les têtes de liste qui seront élus ; dans toutes les autres formations, on ne trouve pas plus de 6% de femmes têtes de liste », explique une représentante française du PDM. L’égalité hommes-femmes avait pourtant était instituée comme un principe inaliénable pour ces premières élections, comme pour confirmer l’avance de la Tunisie par rapport aux autres pays arabes sur le statut et les droits des femmes. Mais les féministes n’ont pas baissé la garde, elles comptent bien imposer les femmes dans une future assemblée législative.
Crédit photo : AFP
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