Patric Jean : Il y a quelques années, dans le cadre de la réalisation de mon film, La Domination masculine, je me suis infiltré dans une association d’hommes au Québec. Pendant plusieurs mois, je me suis fait passer pour l’un de ses membres et ai fait croire que je partageais les idées anti-féministes de ces derniers. Peu à peu, ils se sont livrés à moi. C’est ainsi que j’ai découvert le masculinisme. Ce mouvement est en sommeil depuis longtemps en France et je n’ai pas été étonné de l’action coup de poing de cet homme isolé, plusieurs jours durant, au sommet d'une grue en février dernier. Ce geste était intimement lié au réseau masculiniste canadien. C’est lui qui l’avait recommandé, de même que le fait de brandir la « cause des pères » et de dérouler une banderole pour attirer l’attention.
P. J. : Également appelée « anti-féminisme », cette mouvance politique créée par des hommes s’oppose à l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle milite au contraire pour le retour des valeurs patriarcales, pour une société qui permettrait aux hommes de décider de tout dans le cercle familial et en dehors et dans laquelle les femmes n’auraient pas droit au chapitre. Le masculinisme est né est une réaction aux avancées concernant les droits des femmes et à l’égalité entre les sexes. C’est une contre-révolution comparable à celle du White Power qui, en Afrique du Sud, avait tenté d’empêcher l’abolition de la ségrégation.
P. J. : Les masculinistes sentent qu’il y a une brèche dans laquelle ils peuvent s’engouffrer, qu’ils peuvent facilement bénéficier d’une exposition médiatique, ce qui est absolument insupportable. Comment peut-on expliquer qu’un homme monté seul sur une grue, de son plein gré, condamné pour enlèvement d’enfant et violence, monopolise pendant toute une semaine l’attention des chaînes d’information générale ? Son atout a été de véhiculer un discours minutieusement préparé qui, malgré tout, est en adéquation avec la société patriarcale, machiste et sexiste dans laquelle nous vivons. Une femme, aussi féministe fusse-t-elle, n’aurait jamais réussi à susciter l’intérêt, à moins qu’elle ait été nue.
P. J. : Le danger principal est que ces militants parviennent à faire avancer leur cause. Malheureusement, c’est déjà le cas. L’une de leurs techniques consiste à amener un mot dans le vocabulaire médiatique, et ainsi, à créer le problème auquel il renvoit. Ce fut notamment le cas avec la misandrie, en opposition à la misogynie, qui fait référence à l’aversion pour les hommes. On peut également parler de « l’aliénation parentale ». Il s'agit de l'idée que lors d'un divorce, la femme aurait tendance à dénigrer l'image du père afin de le priver de ses enfants. En réalité, ce prétendu syndrome sert de paravent aux hommes accusés de violence conjugale ou d'inceste. Mais alors qu’aucune faculté de médecine, de psychologie ou autre institution n’a jamais reconnu la validité de ce principe, quatre propositions de loi l’intégrant ont déjà été déposées par des députés et sénateurs de droite, depuis 2009. Pire, certaines femmes ont même déjà été déboutées de leur demande à cause de ce syndrome qui ne repose sur rien.
P. J. : Comme à leur habitude, les membres se hisseront au sommet de grues, de monuments ou de ponts et dérouleront une banderole. Des actions devraient ainsi avoir lieu partout en France : à Amiens, Strasbourg, Lyon, Nantes, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Rennes, etc. À Paris, ils ont prévu de monter sur la Tour Eiffel à 18 heures. Mais les forces de l’ordre ayant été prévenues, elles devraient les en empêcher.
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