Terrafemina : La question de l’allaitement fait de nouveau débat depuis le coup de gueule d’Elisabeth Badinter dans Le Conflit, la femme et la mère. Pensez-vous aussi que les jeunes mères subissent la pression des mouvements « pro-allaitement » ?
Marcel Rufo : Pour moi ce débat est dépassé, il n’y a plus à être pour ou contre. Il y a eu une période où l’allaitement était indispensable, en tant que nourriture gratuite pour les enfants et notamment dans les familles pauvres, puis une chute de cette pratique suite au travail des femmes et la concurrence des laits maternisés. Je pense que nous sommes aujourd’hui dans une phase d’équilibre : les femmes ont le choix. Celles que vous avez interrogées le prouvent d’ailleurs. Elles sont assez fortes pour ne pas se laisser impressionner par la bande de rigolos qui les menacent des pires maux si elles n’allaitent pas, elles tiennent tête.
TF : Vous avez eu autrefois des prises de position très tranchées sur l’allaitement, estimant qu’au-delà de sept mois cela s’apparentait à un abus sexuel, qu’en est-il aujourd’hui ?
MR : La Leche League – association de soutien à l’allaitement maternel- m’a beaucoup embêté à cause de cela. Je ne suis pas si catégorique, j’ai été allaité, ma fille, non. J’estime juste qu’au-delà de trois mois c’est trop. Ce n’est pas le lait qui fonde la relation mère/enfant, c’est l’interaction. Et dans l’histoire actuelle, je pense que le progrès du rôle du père est un sujet bien plus important.
TF : Que penser des théories dites « de l’attachement » et du « lien » qui préconisent de favoriser au maximum le contact peau à peau entre la mère et l’enfant, dès les premières heures de sa vie et toute la première année de sa naissance ?
MR : La science a beaucoup progressé dans la connaissance du rapport mère/enfant, notamment au cours de la grossesse. On sait que le nouveau-né reconnaît l’odeur, le goût du lait et la voix de sa mère. A huit mois, l’enfant pourrait même avoir les mêmes rêves que sa mère. Ces théories sont très intéressantes, mais on les utilise pour culpabiliser les femmes. Or il n’y a pas que le biologique qui compte, l’affection n’est pas une donnée arithmétique. Le plus important c’est la rencontre avec l’enfant, pas les circonstances de celle-ci. J’aime le terme d’ « accordage affectif » : c’est une question d’adaptation et il n’y a pas de recette.
TF : Les femmes que nous avons interrogées estiment ne pas avoir vraiment souffert d’être élevées par une nounou, mais ont parfois ressenti un déchirement lors du passage de leur mère à la vie active. Comment s’assurer que son enfant ne vit pas mal notre absence quand on retourne à la vie active ?
MR : Pour moi il faut au contraire qu’une femme travaille pour bien élever ses enfants : il faut savoir se séparer pour grandir. Il y a des mères qui aiment pouponner, qui savent jouer et s’occuper avec leurs enfants, -comme ces promenades mères-filles dans Paris qu’évoque Cassandre-, mais ce n’est pas le cas de toutes. C’est le propre des femmes d’être jalouses de la nounou, la puéricultrice, la maîtresse ou la meilleure copine, mais ces femmes intermédiaires permettent à l’enfant de grandir. Une fonction que doit également assumer le père. A ce titre je serais favorable à un congé en alternance, trois mois pour la mère, puis trois mois pour le père. En effet l’homme a un rôle fondamental : il est le tiers séparateur entre la mère et l’enfant. C’est lui qui doit permettre à la mère de retourner à sa vie active et ses préoccupations de femme.
Marcel Rufo a publié Chacun cherche un père, aux éditions Anne Carrière, en octobre 2009.
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Marcel Rufo réagissait à l'article : La génération nounou et biberon se porte très bien, merci !