Laurence Rameau : La crèche reste le fer de lance de tout ce qui est qualité de l’accueil. Longtemps on a associé cette qualité de l’accueil au fait que le personnel était qualifié. Or ces derniers temps, les décrets successifs, surtout le dernier de juin 2010, ont renié cette idée d’avoir des professionnels très qualifiés et surtout ont augmenté la possibilité du nombre d’enfants par professionnel. Il y a aujourd’hui un turn over important des enfants, une fréquentation bien plus élevée. Les professionnels se retrouvent très vite surchargés et perdent au niveau qualitatif en termes de relation possible et de disponibilité à l’enfant. Tout cela contribue à détériorer la qualité de l’accueil, d’autant plus que la notion de rentabilité est venue s’insinuer dans les crèches. Les professionnels n’ont plus le temps de se retrouver pour réfléchir à la pratique.
L.R. : Pour améliorer la situation, les professionnels qui travaillent en crèche doivent être beaucoup plus valorisés qu’ils ne le sont aujourd’hui. Longtemps, les professionnels qui travaillaient en crèche étaient issus de l’hôpital et des formations paramédicales. Ce ne sont plus les formations qui sont nécessaires à l’heure actuelle. La crèche accueille maintenant des enfants qui vont bien. Il y a peu d’éducateurs de jeunes enfants. Les professionnels sont soit sous qualifiés et ont très peu de connaissances sur le développement psychopédagogique de l’enfant, soit qualifiés au niveau des soins à donner mais pas non plus compétents dans le domaine pédagogique. Les diplômes sont nécessaires. On ne peut pas penser encore aujourd’hui qu’il suffit d'être maman, donc d’être une femme, pour se dire je peux m’occuper de petits enfants. La qualité de l’accueil dans les crèches doit passer par une réforme de la formation des professionnels de la petite enfance. Celle-ci doit être largement orientée sur le relationnel et sur l’éducatif.
L.R : Les parents sont censés avoir toute leur place dans les crèches. Mais dans la réalité, il y a énormément d’obstacles, à la fois physiques et symboliques, et on ne travaille pas réellement avec eux au quotidien. Tout cet hygiénisme sécuritaire qui est installé dans les établissements d’accueil, les parents doivent mettre des chaussures, passer des barrières, montrer patte blanche pour pouvoir rentrer, ne jamais amener quelque chose de la maison qui ne serait pas autorisé comme un gâteau. Ces barrières créent une distance. Elles font que finalement les professionnels imposent toujours leur loi et leur manière de voir les choses. Le parent qui pourrait avoir une manière éducative un petit peu différente va être regardé de travers. Les professionnels en crèche ont toujours cette idée qu’ils doivent guider. Or je pense qu’on doit nouer des liens relationnels de confiance avec les parents. Les professionnels doivent arriver à se placer en arrière et pas en avant des parents. L’idée d’accompagner n’est pas de guider. Une relation doit être créée pour permettre aux parents d’exister avant même que l’enfant ne vienne à la crèche. Aujourd’hui, très peu d’établissements d’accueil ont des places réservées aux parents, des lieux où ils peuvent s’installer, échanger, regarder comment leur enfant évolue.
L.R. : Il y a réellement des directrices qui ont envie de faire différemment. Il y a des cafés parentaux qui existent dans des établissements. Certains lieux se donnent vraiment la peine d’essayer de ressembler à autre chose qu’à un hôpital, faire en sorte qu’on ait l’impression de rentrer dans un lieu de résidence dans lequel l’enfant pourrait passer du temps et où les parents seraient tout autant accueillis. Mais les équipes ont du mal à lutter contre des diktats qui peuvent venir de la PMI (Protection maternelle et infantile) et qui vont remettre le problème de l’hygiène et de la sécurité sur le tapis et limiter ce genre d’expérience. Alors que dans les années 80, on avait fait un gros travail pour faire entrer l’éveil et la culture dans les crèches. On revient aujourd’hui à une sorte d’hygiénisme basé sur la sécurité.
L.R. : La crèche reste la référence. Les parents ont envie qu’une équipe qualifiée s’occupe de leur enfant. Ce lieu est plus sécurisant pour eux. Ils ont complètement intégré cette idée que lorsque les enfants sont dans une collectivité à plusieurs, ils vont nouer des relations et faire des apprentissages beaucoup plus importants que s’ils sont en moins grand nombre. À plusieurs, ils vont s’imiter les uns les autres, apprendre par le jeu. La crèche a de nombreux avantages mais elle doit désormais évoluer.
« L'accueil en crèche », B. Cyrulnik, L. Rameau, Editions Philippe Duval
Crédit photo : iStockphoto
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