Terrafemina : Pourquoi vouloir interdire la vente de boissons alcoolisées aux associations étudiantes ?
Jeannette Bougrab : On assiste depuis plusieurs années, dans les soirées étudiantes, à une augmentation du « binge drinking », une pratique consistant à consommer un maximum d’alcool fort comme de la vodka ou du whisky en un minimum de temps. En moins d’une demi-heure, par défi, les étudiants consomment des quantités astronomiques de boissons alcoolisées. Un comportement qui les expose à des accidents graves ou à des overdoses alcooliques.
Ainsi, en décembre dernier, Benjamin, un adolescent de 16 ans est décédé des suites d’un coma éthylique. Il avait 4,5 grammes d’alcool dans le sang. Ces dix-huit derniers mois, pas moins de quatre accidents très graves, liés à une surconsommation d’alcool, ont été recensés : trois ont été mortels tandis que le quatrième a plongé sa victime, une jeune fille, dans le coma pendant plusieurs semaines.
La situation est telle qu’il est urgent de prendre des mesures. L’idée n’est pas d’interdire aux jeunes de faire la fête, nous avons un plan plus large et plusieurs propositions pour que cessent ces excès. Nous prévoyons notamment de lancer une campagne de prévention avec un court métrage qui sera diffusé sur les différentes chaînes du groupe M6, de réformer la fiscalité sur les alcools forts et d’en interdire la publicité, d’apposer des images chocs sur les packagings à l’instar des paquets de cigarettes, et bien sûr de retirer aux associations étudiantes la licence leur permettant de vendre ces boissons alcoolisées.
Il n’est pas normal qu’une association étudiante puisse vendre de l’alcool à un prix si bas. En effet, il est possible d’y acheter de la bière à mois de 1 euro la cannette. Accepterions-nous que ces mêmes associations vendent du tabac ? Il s’agit tout de même d’environnements où évoluent de très jeunes adultes, c’est donc le premier lieu où une politique de prévention doit être appliquée.
J. B. : Les universités n’ont pas la même culture associative que les grandes écoles et n’ont pas non plus les mêmes moyens. Par exemple, si vous allez déjeuner dans un restaurant universitaire, vous ne trouverez pas d’alcool. En outre, le plus souvent, les universitaires ne se rendent dans leur établissement que pour y étudier ou enseigner. Nous avons donc vraiment à faire à deux traditions de vie étudiante diamétralement opposées. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi dans les grandes écoles, ces institutions généralement très prestigieuses qui symbolisent l’élitisme républicain, on autorise les étudiants à s’enivrer alors que, plus que les autres, ils sont censés montrer l’exemple.
J. B. : Laurent Batsch, le président de l’université Paris-Dauphine a lui-même pris des mesures drastiques l’année dernière, après l’affaire du bizutage violent qui avait défrayé la chronique. Il a purement et simplement banni l’alcool de son établissement. Aujourd’hui, plus une seule goutte ne coule dans les locaux, les contrôles ont été renforcés et des rondes ont été mises en place. Je pense que si l’on laisse croire à nos jeunes que la socialisation en fin de journée passe forcément par la consommation d’alcool, c’est la preuve que l’on a rien compris. Les établissements scolaires sont des lieux de transmission du savoir et non des bistrots.
Par ailleurs, les chefs d’établissement doivent avoir conscience qu’en autorisant la consommation d’alcool, ils engagent leur responsabilité lors de chaque soirée étudiante. Un jour des parents pourront se retourner contre eux. Un jour, un directeur d’une grande école devra assumer ses choix devant la justice.
Cette pratique du « binge drinking » est extrêmement dangereuse. Ces jeunes ne boivent pas de vin à table, ils n’ont ni penchant pour l’œnologie ni culture gastronomique. Ils ne consomment que des alcools forts pour ressentir le plus rapidement possible cette sensation d’ivresse. Vous n’imaginez pas le nombre d’étudiantes qui arrivent à leur première consultation d’IVG sans aucun souvenir du moment où elles sont tombées enceinte. On estime par ailleurs qu’un tiers des premiers rapports sexuels auraient lieu lors de situations d’ivresse. Les filles adoptent de plus en plus les mêmes comportements alcooliques que les garçons mais se retrouvent plus facilement dans des situations de faiblesse et de danger.
J. B. : Nous avons échangé nos points de vue. Monsieur Pierre Tapie m’a appris que, certains tours opérateurs organisaient désormais des voyages d’intégration à l’étranger, en Belgique notamment, pays dans lequel le bizutage est autorisé. Il a demandé que des mesures soient prises pour encadrer ces séjours. Je lui ai, quant à moi, exposé la vision du gouvernement. Nous avons établi une feuille de route et prévu de nous revoir très prochainement. J’ai d’ailleurs confié à Xavier Pommereau, chef du service de pédopsychiatrie au CHU de Bordeaux, une mission au sujet du rapport des jeunes à l’alcool.
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