Gaëlle Rolin : J’ai rencontré Anne-Marie dans le cadre de mon travail de journaliste au sein du figaro.fr/madame. J’ai été intriguée par les formations d’orthographe qu’elle dispensait en entreprise et j’ai assisté à l’une d’entre elles. C’était il y a plus d’un an et demi. Pendant la discussion, elle a égrainé des éléments de son parcours qui m’ont mis la puce à l’oreille : ses années à démonter le dictionnaire pour se l’approprier, la mise en place de sa propre grammaire, et les traumatismes d’enfance sur lesquels elle avait voulu prendre sa revanche. Nous nous sommes revues pour un portrait, et peu de temps après, de façon assez spontanée, je lui ai proposé de recueillir son histoire et que l’on évoque, dans un ouvrage, la souffrance silencieuse de ceux qui sont en guerre avec les mots et le français, petits comme grands. Elle a tout de suite accepté. Pour le livre, en plus de son histoire, j’ai également rencontré les parents d’enfants qu’Anne-Marie avait suivis, donné la parole à ces enfants et à d’anciens élèves, « guéris » grâce à elle - la plus âgée a plus de cinquante ans.
G. R. : Oui, pour Anne-Marie, le CP est le cœur du problème, car c’est là que se jouent des apprentissages censés être ancrés pour une vie, ceux de la lecture et de l’écriture. Or, aujourd’hui, on passe trop rapidement sur ces apprentissages, on pressurise les enfants, en les amenant à lire le plus rapidement possible, sans forcément s’assurer que l’ensemble de la classe en est bien capable. Comme l’explique Anne-Marie, on veut parfois qu’ils soient lecteurs à Noël, alors qu’ils sont rentrés en septembre ! Et le problème est qu’ils « donnent parfois l’illusion » de savoir lire, parce qu’ils reconnaissent les mots davantage que parce qu’ils ont appris à démonter la mécanique de leurs lettres et de leurs syllabes. C’est pour cela qu’un nombre grandissant d’entre eux va rencontrer des difficultés au moment de passer à l’écriture. Par exemple, de façon schématique, ils n’auront intégré que « l’avion » = l’+ avion », donc écriront « lavion ». C’est le résultat de méthodes d’apprentissage qui ne fonctionnent pas pour tous, car elles correspondent à un seul type de mémorisation. Anne-Marie préconise, comme elle l’explique dans le livre, le recours à une méthode qui active les trois types de mémorisation, auditive, visuelle, et kynestésique (qui utilise la main), pour laisser un minimum d’élèves sur le carreau, sans surcharger les instituteurs qui ne peuvent pas faire du cas par cas. On entend trop souvent qu’un enfant qui ne sait pas est un enfant qui n’apprend pas. Certes, il y a des élèves qui ne travaillent pas suffisamment, mais dans la plupart des cas, c’est plus compliqué que ça. Les élèves ont envie d’apprendre et d’être au même niveau que leurs camarades !
G. R. : La dyslexie touche l’équipement neurocognitif, elle concerne un pourcentage très faible de Français -4 à 5 % des élèves d’une classe d’âge selon l’OMS. Elle entraîne des problèmes de repères spatio-temporels, de mémoire, de concentration… C’est un dysfonctionnement qui entraîne des difficultés durables de lecture et d’écriture, qui, si la dyslexie est bien avérée, se réparent auprès de l’orthophoniste. Car c’est là que le bât blesse… La dysorthographie qu’Anne-Marie appelle dans le livre « pure », c’est-à-dire, liée à une méthode de lecture et d’écriture qui n’a pas fonctionné, a la même définition que la dyslexie. D’ailleurs, tous les dyslexiques sont dysorthographiques. C’est également un trouble dynamique de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les deux ont les mêmes conséquences, mais pas les mêmes origines. L’un se répare rapidement, l’autre, moins. Le risque, c’est d’orienter systématiquement un élève qui a simplement appris à lire avec la mauvaise méthode chez l’orthophoniste. Les enfants que suit Anne-Marie y ont souvent passé des années, sans résultat. Anne-Marie, elle-même, a été diagnostiquée dyslexique à tort. Car si l’orthophoniste est utile pour un dyslexique avéré, il n’est pas apte à traiter une dysorthographie dite pure (c’est important de préciser) – tout le monde perd du temps, l’élève ne progresse pas et la Sécu rembourse une prestation qui n’est pas utile. En résumé, on met trop souvent une étiquette médicale sur un problème pédagogique.
G. R. : Elle utilise d’abord les recettes qui ont marché pour elle : à la relecture, elle prend la phrase à l’envers, c’est-à-dire de la fin au début et demande à l’élève de s’arrêter sur chaque mot. C’est une manière complètement différente de considérer la phrase, qui fait disparaître certains automatismes. Dans sa méthode « Hugo et les Rois », elle a personnifié Être et Avoir. L’idée, c’est d’intéresser les enfants en leur racontant des histoires de grammaire, et pas des règles. Et pour qu’ils se souviennent de l’orthographe compliquée des mots d’usage, elle utilise des images mentales : pourquoi accueillir prend deux c ? Parce qu’on accueille avec ses deux mains. Quant à la lettre « u », elle peut représenter la tasse de café qu’on offre en signe de bienvenue. Enfin, elle met l’empathie au cœur de sa relation aux enfants, en essayant de comprendre l’origine de leurs difficultés et comment les combattre efficacement, plutôt que de les sanctionner.
G. R. : Ce sont des salariés en entreprise qui, il y a dix ou quinze ans, n’auraient pas eu ce problème, parce que le mail n’était pas si important. Auparavant, on téléphonait beaucoup, donc un salarié mal à l’aise à l’écrit pouvait compenser à l’oral. Aujourd’hui, non seulement, il faut tout formuler par mail, mais en plus, les assistantes, les secrétaires sont moins nombreuses à s’occuper spécifiquement de l’administratif. Ils ne veulent plus être la risée du collègue ou du supérieur, mais ils ont souvent honte de leurs difficultés. Et quant au supérieur, c’est tout aussi délicat pour lui de faire savoir à un employé qu’il est temps pour lui de revoir son orthographe, sans le froisser. Pourtant, cela touche toutes les catégories. Anne-Marie a suivi des PDG, qui, évidemment, demandaient une formation individuelle, et, parfois, même, une clause de confidentialité. C’est important, pourtant, de rattraper ses retards, car une mauvaise orthographe entraîne un manque de confiance en soi ou peut empêcher quelqu’un de se sentir à même de postuler à une évolution…
G. R. : Ses années de recherches, son parcours à elle de cancre, les dizaines d’enfants qu’elle a vus passer chez elle lui ont fait prendre conscience de l’importance de remettre la pédagogie au cœur de la transmission. Elle a disparu en même temps que la formation des enseignants. En revanche, pas n’importe quelle pédagogie : celle qui fonctionne pour le plus grand nombre, quitte à bousculer les habitudes ou un certain confort. Et, sans pour autant tomber dans le bien-pensant, à ses yeux, l’empathie est indispensable pour aider les enfants. Évidemment, des moyens et une remise en question sont indispensables. Si on entend souvent parler de l’immobilisme de certains enseignants, de nombreux autres sont en demande d’outils pour faire progresser leurs élèves.
Anne-Marie Gaignard avec Gaëlle Rolin, « La revanche des nuls en orthographe », Calmann-lévy, 16.90 €.
Gaëlle Rolin (g.) et Anne-Marie Gaignard (d.)
Crédit photo : Ingram Publishing
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