Extrait : « Le magistrat Luc Frémiot avait été marqué par le fait que tout le monde, dans l’entourage de la victime, savait ce qu'elle subissait… et que personne n’avait osé réagir. Il y a autre chose qu'il répète souvent : « Dans presque toutes les affaires de violence conjugale, le déni de violence est un point commun entre le conjoint violent et sa victime ». Pour ce qui me concerne, j’ai mis du temps à comprendre cette phrase : elle signifie que la victime – elle aussi – occulte souvent le côté anormal et monstrueux de ce qu'elle subit. Je n’ai (nous n’avons) évidemment pas dérogé à la règle… »
Terrafemina : « Le déni de violence est un point commun entre le conjoint et sa victime », rapportez-vous. Comment l’expliquer ?
Alexandra Lange : Disons qu'il y a une corrélation entre eux deux : cette violence. Lui refuse de croire que c'est lui le coupable, et la femme subit cette violence tout en refusant de croire qu'elle est une victime.
Extrait : « Il est difficile de dater précisément le moment où ma vie est devenue un calvaire, mais il est certain que les mois, les années qui ont suivi la naissance de notre deuxième enfant ont accéléré notre chute dans les bas-fonds de l’horreur. Si je devais résumer, je dirai que je me suis retrouvée face à un homme qui ne faisait rien de ses journées si ce n’est boire et, quand il avait un sursaut d’énergie, m’agresser. (…) Je n’ai pas su empêcher l’escalade de ses petites cruautés. Je n’ai pas su ou pas pu réagir ».
« Pour la première fois j’ai pensé à fuir (…). Me faire la belle pour de bon. Prendre mes cliques, mes claques, les enfants et disparaître. Mais je me suis ravisée : pour aller où ? (…) Il nous aurait vite rattrapés. Et comment partir ? Avec quels moyens ? Et s’il s’en était pris à mes proches ? »
Tf : Comment fuit-on ou dénonce-t-on un conjoint violent ?
A. L. : On ne fuit pas, on a la peur au ventre. Et l’on essaie d'avoir un maximum de courage pour aller dénoncer les violences de son conjoint. C'est délicat et très compliqué à signaler cette violence.
Extrait : « Il y a tant de choses que j’aurais aimé garder pour moi, des blessures et des hontes que je préférerais laisser enfouies dans les abîmes du passé. Mais le procès les a rendues publiques et il faut que ce livre soit un témoignage du réel. Que l’on mesure jusqu'où peut mener la violence conjugale. »
Tf : Qu'est-ce qui vous a finalement poussée à témoigner de votre histoire?
A. L. : Ce sont mon éducateur et référent du centre d'hébergement, ma psychologue, et mes avocates qui m’ont convaincue de raconter mon histoire. Ça, et le fait que je pense pouvoir aider via mon témoignage des femmes victimes de ces mêmes violences.
Extrait : « Ce n’est que dans les tout derniers mois, après douze années de violence, que j’ai réellement commencé à me confier sur ce que je vivais. Pensais-je que c’était là mon ultime chance de sortir de cet enfer ? (…) Mes confidents, dans ces cas-là, ne poussaient pas la curiosité très loin. Je me souviens de conversations avec notre voisine Fatima. J’essayais de lui faire comprendre ce qu’elle devait déjà deviner mais elle éludait aussitôt. Au cours de l’enquête elle a dit : "Ceci ne me regardait pas et je ne voulais pas envenimer les choses. Alors je changeais de sujet, je ne cherchais pas à en savoir plus. Vous savez, quand on se voyait, Alexandra faisait mine que tout allait bien, alors on n’est jamais sûr…" »
Tf : Vous pointez du doigt le silence des témoins. Selon vous, est-ce qu’un tabou subsiste face à la violence conjugale ?
A. L. : Oui, il existe malheureusement une omerta face à la violence conjugale. Je pense que la femme victime n’est sans doute pas la seule à avoir peur du mari violent. Mais il faut réussir à briser cette peur et ne plus laisser cette voix du silence gagner du terrain.
« Acquitée », Alexandra Lange, Éditions Michel Lafon
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