Éducation unisexe : tout le monde assis pour faire pipi ?

Publié le Vendredi 14 Décembre 2012
Éducation unisexe : tout le monde assis pour faire pipi ?
Éducation unisexe : tout le monde assis pour faire pipi ?
La guerre est déclarée contre la tyrannie du duo rose/bleu. Crèches égalitaires, jouets unisexes et bibliothèques anti-sexistes : les initiatives, même farfelues, pour éduquer les enfants en dehors de toute contrainte de genre se multiplient. Aussi tendance que la vague bio de 2008, le militantisme parental pour une éducation asexuée pourrait faire débat autour du sapin de Noël en 2012. Jusqu’où serez-vous prêt à aller pour amorcer le virage unisexe à l’école et dans la salle de jeu ? Au risque de pousser le bouchon un peu trop loin ? Réponses.
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Êtes-vous prête à offrir un déguisement de pompier à votre petite dernière et un aspirateur à son grand frère ? En 2012, lutter contre les stéréotypes sexistes dans l'éducation des enfants n'est plus l'apanage de quelques féministes, et les méthodes pour s'y atteler se propagent à vitesse grand V. Le débat refait systématiquement surface à l'approche de Noël mais cette année, certains ont décidé d'aller plus loin : la chaîne d'hypermarchés Super U a fait sensation en éditant un catalogue de jouets dé-genré dans lequel on voit des petits garçons jouer à la poupée et des fillettes passionnées par les voitures. Séduite par l'initiative, la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, qui a fait de l'éducation égalitaire son cheval de bataille, a même décidé de visiter ce vendredi un magasin Super U pour saluer ce projet qui répond selon elle « à une demande nouvelle de parents, conscients de leurs responsabilités éducatives en matière d'égalité, mais aussi de plein épanouissement de leurs enfants ». En espérant que l'hypermarché ait lancé un pavé dans la mare française.

Coups marketing isolés ou tendance de fond ?

Depuis peu, des précurseurs s'illustrent dans la promotion de l'éducation anti-stéréotypes, à l'image des magasins Harrods, en Grande-Bretagne, qui ont troqué la dichotomie des rayonnages filles/garçons pour un rayon neutre de jouets classés par thèmes. Comme cette marque de jouets, Tim & Lou, qui fait apparaître un garçon et une fille sur ses emballages de dînettes ou ses ceintures de bricolage, en s'efforçant d'adopter des couleurs neutres, quel que soit le jouet. Pour Brigitte Grésy, inspectrice des affaires sociales, qui rendra le 14 janvier un rapport sur la socialisation des filles et des garçons avant 3 ans, c'est bien là le signe que « quelque chose bouge » : « Si ce genre de coup marketing fonctionne, tant mieux », ajoute-t-elle car « il y a une overdose ressentie par rapport au marketing sexiste des jouets. » Un changement de paradigme qui ne s'arrête pas à la porte de la salle de jeu.


Anti-sexisme, made in Suède

À la pointe des politiques d'égalité hommes-femmes, la Suède peaufine depuis 15 ans sa pédagogie de l'égalité à l'école maternelle (les enfants y sont accueillis dès un an). Ainsi dans certaines cours de récréation, garçons et filles sont séparés et encouragés à pratiquer des activités différentes de leurs habitudes. Les jouets particulièrement identifiés comme les poupées ou les voitures peuvent être tout simplement supprimés. Et la méthode porterait ses fruits puisque les enseignants auraient remarqué que les filles gagnent en assurance tandis que les garçons sont plus calmes et font montre d'une sociabilité plus développée. (Source)

Pourtant, il arrive que la Suède, toujours première de la classe, n'ait pas bonne presse dans son avant-gardisme. Une crèche a ouvert le débat sur les éxagérations de la méthode unisexe : elle a choisi de bannir les pronoms « il » et « elle » (« han » et « hon ») et de les remplacer par un pronom neutre, (« hen »). Un initiative controversée. C'est aussi en Suède qu'un mouvement féministe hygiéniste voulait réformer la case pipi et faire asseoir les garçons. Des méthodes jugées excessives par bon nombre d'experts, dont Jean-François Bouvet, docteur en biologie et auteur de l'essai « Le camion et la poupée, l'homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? » (Flammarion), qui estime que « nier l'altérité des sexes est dangereux et peut aboutir à des situations artificielles ».

Dispositions naturelles ou incitation culturelle ?

De fait, parents et éducateurs sont en droit de s'interroger sur le bien-fondé de cette campagne massive contre les jouets pour filles et pour garçons. Pour les athlètes du mercredi, il n'est pas si facile de faire aimer les Meccano aux unes et les Polly Pocket aux autres… Dans son livre, J.-F. Bouvet répond à cette question éculée mais cruciale : comment expliquer que les filles soient encore et toujours en train de jouer à la poupée et les garçons aux voitures ? Conditionnement socio-culturel ou déterminisme biologique ? Pour le scientifique, les deux facteurs jouent, sans qu'on puisse encore définir la part respective de chacun. Au risque de déranger ceux qui le nient, il confirme l'existence d'un « déterminisme qui se manifeste très tôt ». Preuve à l'appui.


Quand le naturel l'emporte

« En 2009 l'université du Texas a mené une expérience avec des bébés de 3 à 8 mois, soit avant toute possibilité de conditionnement culturel », explique J.-F. Bouvet. « On leur a présenté des jouets et on a étudié leur regard. Entre un camion et une poupée, les filles manifestaient une nette préférence pour la poupée, mais pour les garçons la préférence pour le camion était moins tranchée. » Une autre expérience tirée du même essai et corroborée par plusieurs autres bouleverse hardiment les théories qui fondent l'identité sexuelle uniquement sur le conditionnement culturel. « Deux anthropologues américains ont observé la vie de chimpanzés en Ouganda pendant plusieurs années, écrit le biologiste. Les résultats de leur étude publiée en 2010 montrent que, si les jeunes singes jouent avec des bâtons, les femelles semblent les utiliser plus fréquemment comme des poupées rudimentaires, les traitant de manière quasi maternelle. »

« Il faut agir au niveau de l'enseignement »

À la lumière des diverses études recensées et sélectionnées selon leur crédibilité, J.-F. Bouvet conclut que garçons et filles montrent bel et bien un goût particulier pour un certain type de jouets : « On peut dire que la plupart des garçons aiment ce qui roule, ce qui bouge, tandis que les filles aiment les formes humaines », mais il ajoute que « les facteurs culturels jouent un rôle de renforcement » de ces prédispositions. S'il ne croit pas à l'efficacité des méthodes d'éducation totalement unisexes (« elles ont été tentées dans des Kibboutz en Israël, sans succès »), il soutient fermement le développement des pédagogies anti-sexistes dans l'enseignement. Et de citer une étude menée cette fois sur des élèves de 6e et de 5e démontrant le rôle de l'auto-censure et des stéréotypes dans les résultats scolaires des filles : « On a longtemps dit aux filles qu'elles étaient nulles en maths, cette idée est tout à fait culturelle, aucune disposition naturelle n'explique cela. »

Une prise de conscience qui s'opère depuis quelques années dans les milieux éducatifs, et qui bénéficie désormais du soutien indéfectible des ministères de la Famille et des Droits des femmes : en septembre dernier, Dominique Bertinotti et Najat Vallaud-Belkacem rendaient visite à la crèche Bourdarias de Saint-Ouen, célèbre pour son programme de « pédagogie active égalitaire ». Sans chercher à abolir les différences entre les deux sexes, le personnel formé par des éducateurs suédois s'efforce d'ouvrir le champ des possibles aux enfants, en matière de jeux, de comportements et de littérature. Mais la méthode la plus aboutie à ce jour émane de l'association Adéquations, qui a sélectionné 20 albums jeunesse pour leur traitement égalitaire et non sexiste des garçons et des filles, et élaboré de fiches d'accompagnement pour les enseignants.

L'éducation dé-genrée commence donc par un grand ménage de la bibliothèque : adieu maman ours dans la cuisine et papa ours au garage. Vive les héroïnes et les renversements de clichés dans des albums comme « Le papa qui avait dix enfants » ou « La petite poule » qui préférait voir la mer plutôt que de s'ennuyer à pondre avec ses sœurs.

Crédit photo : Abaca


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