Myriam Szejer : Bien qu’ils soient insouciants, certaines choses touchent profondément les enfants sans que les adultes en aient conscience. D’ailleurs, ils peuvent parfois ressentir une souffrance intérieure sans en connaître la cause profonde.
Ainsi, le suicide d’un jeune peut résulter d’une simple broutille. Une parole malheureuse, d’autant plus si elle est prononcée par une personne proche ou à laquelle il est attaché, peut suffire. Certes, c’est une réaction disproportionnée mais les enfants ne disposent pas des mêmes outils que leurs aînés pour se défendre et se faire entendre. Quant aux adultes, ils ne savent souvent pas appréhender le retentissement d’un événement parfois mineur dans l’esprit d’un adolescent.
M. S. : Pour les actes conscients, le tableau clinique de l’enfant suicidaire est en effet équivalent à celui de l’adulte. Comme ses aînés, l’enfant qui attente à sa vie considère que la mort est la seule issue pour mettre un terme à une situation invivable. Mais un suicide « réussi » peut être consécutif à un premier appel à l’aide qui n’aura pas été entendu. Car si, chez les adultes, une tentative de suicide ouvre immédiatement la porte à une surveillance rapprochée, une prise en charge psychologique, etc., les plus jeunes ne bénéficient pas de la même attention. En effet, la prise en compte de la souffrance de l’enfant n’est pas encore entrée dans les mœurs. On considère que la jeunesse permet, à elle seule, de se rétablir naturellement.
En ce qui concerne les actes manqués évoqués par Boris Cyrulnik (un enfant qui se penche un peu trop par la fenêtre ou qui traverse la rue dangereusement, ndlr.), la prise de risque n’est pas totalement consciente. L’enfant se met en danger sans vouloir forcément et réellement en finir avec la vie. Toutefois, les parents dont l’enfant se renferme soudainement sur lui-même, ne communique plus, ne joue plus ou est victime, du jour au lendemain, d’importants troubles du sommeil, doivent rester très attentifs.
M. S. : Jusqu’à 5 ou 6 ans, ils n’en ont pas conscience. D’ailleurs, les jeux vidéo, dans lesquels on peut mourir puis ressusciter dans la minute, entretiennent cette croyance de plus en plus tard. C’est l’une des raisons pour lesquelles, si l’on est amené à assister à un enterrement avec un enfant, il faut lui expliquer que la personne décédée ne reviendra pas. S’il s’agit d’un proche, il est important qu’il comprenne qu’il ne le reverra ni la semaine suivante, ni jamais.
M. S. : Nous avons expliqué cette idée dans l’ouvrage « Si les bébés pouvaient parler » (Bayard) auquel Boris Cyrulnik a participé. Les travaux réalisés pour les besoins de cet essai ont permis de mettre le doigt sur les enjeux de la périnatalité : chaque événement, majeur ou non, ayant lieu pendant la grossesse a des conséquences et peut entraîner une vulnérabilité dans la vie future de la mère mais aussi de son enfant.
Ainsi, la première étape pour comprendre la souffrance d’un adolescent consiste à rechercher une éventuelle interruption du premier lien maternel, pendant ou après la grossesse. En effet, on observe souvent, chez les enfants adoptés, une souffrance psychologique causée par une carence affective. On peut constater le même trouble chez un enfant vivant avec ses parents biologiques si des complications remettant en cause ses chances de vivre sont apparues pendant la grossesse. Face à ce type d’annonce, il n’est pas rare que les femmes enceintes réalisent un abandon psychique de leur fœtus, persuadées que celui-ci n’est pas viable. Bien sûr, dès le jour de l’accouchement, ces craintes sont oubliées mais elles laissent des cicatrices : un traumatisme prénatal qui s’exprimera tôt ou tard et de façon complètement imprévue.
Crédit photo : Brand X Pictures
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