Pour une certaine génération aujourd’hui trentenaire, Emmanuelle restera la cassette vidéo planquée dans un tiroir des parents, interdite, et pourtant pas bien méchante à en juger par la jaquette. En 1974, le film « Emmanuelle », tiré du roman quasi autobiographique d’Emmanuelle Arsan, invente le genre du film érotique à la française, ou si l’on veut du « porno soft ». C’est l’histoire d’une épouse de diplomate qui transforme sa douloureuse expatriation à Bangkok en un voyage initiatique à la découverte de sa sexualité. Signe de la libération des mœurs, « Emmanuelle » fait un carton dans une dizaine de pays. En France, le film séduit 9 millions de spectateurs au cinéma. Et s’il sortait aujourd’hui ?
Osé, voire très osé pour les seventies, « le film Emmanuelle a diffusé pour la première fois au grand public un film au caractère explicitement érotique », explique le sexologue Alain Héril, auteur de « Femme épanouie, mieux dans son désir, mieux dans son plaisir » (Payot). Les scènes coquines existent bien entendu depuis les premières bobines, mais elles ne jouissaient pas d’une telle audience. Mais surtout, avant Emmanuelle, « on n’avait jamais vu le désir féminin mis en scène de façon si peu conventionnelle », précise le sexologue. En effet, on est en présence d’une femme qui répond à ses désirs, les accepte, « elle affirme sa sexualité et son plaisir, et tout cela est nouveau à l’époque, on est en pleine émancipation de la femme et de son corps ».
Aujourd’hui cet érotisme gentillet trouverait-il son public ? Pas sûr pour Alain Héril qui considère que nous sommes entrés depuis une dizaine d’années dans « un rapport très fonctionnel à la sexualité », et très direct. Là où Emmanuelle suggère sans cesse son désir naissant, l’avant de l’acte, dans un érotisme qui « active les fantasmes du spectateur, qui peut projeter ses propres visions sur la scène », le porno le plus couramment pratiqué se concentre sur l’acte et sa représentation, « plus cash et plus trash, le porno n’a plus rien à voir avec les films érotiques comme « Emmanuelle », qu’on jugerait un peu « plan plan » aujourd’hui. » On constate (et on regrette) effectivement que le film érotique a disparu au profit de deux extrêmes : la pudibonderie ou le classé X. Pourquoi ce sentiment que les femmes y perdent beaucoup ?
Non, ce n’est pas un cliché de dire que les femmes sont plus excitées par l’érotisme que la pornographie. Pour le dire mieux, « la sexualité féminine est une sexualité de scénario », nous explique Alain Héril. Ce qui signifie que nous sommes plus attentives (en tout cas la plupart d’entre nous, les femmes) à l’ambiance et à l’environnement que les hommes. « Le déclenchement du désir chez les femmes est davantage lié à l’intelligence, tandis que chez les hommes c’est le cerveau archaïque qui est d’abord sollicité ». Naturellement, la femme a donc une capacité et un besoin d’imaginer le sexe, que les hommes ressentent moins. Le sexologue relativise néanmoins ces généralités, puisque la société évolue et que les hommes semblent de plus en plus en demande d’une sexualité plus imaginaire et plus sensuelle. De là à ce que l’industrie du X change ses codes, il y a encore un peu de travail. Travail qui pourrait passer par un retour du genre érotique au cinéma, selon A. Héril, puisque, plus que jamais, « nous avons besoin de mettre un peu de mystère et de poésie dans la sexualité ».
Alain Héril, « Femme épanouie, mieux dans son désir, mieux dans son plaisir», (Payot).
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