Étrange constatation qui donne à réfléchir : depuis le premier James Bond, alias Sean Connery, en 1962, on a vu les poils de ces messieurs tomber comme nos cheveux chez le coiffeur, pour finir en apothéose avec un Daniel Craig blondinet et imberbe ! D’où vient cette tendance à la peau glabre et surtout, va-t-elle pousser jusqu’à s’immiscer dans le caleçon de nos mâles ?
Pour le sociologue de la sexualité Michel Dorais, auteur de La sexualité spectacle (H&O Éditions), le phénomène prend de l’ampleur sous l’impulsion première des body builders, puis des acteurs. Et en effet, on ne peut que constater que depuis les torses velus des années 1960, la quantité de duvet des hommes à l’écran a bel et bien fondu : « Graduellement, on a préféré éliminer les poils, on trouvait que ça faisait moins animal. Au cinéma, on a suggéré cela par pudibonderie, car les poils faisaient trop "sexuel" », explique le sociologue. Un autre facteur un peu plus récent aurait également contribué à la disparition de la pilosité : la multiplication des écrans, et des webcams. « Ce qu’on appelle les « sexcam » encouragent à voir et se montrer, or, sans poil, on voit mieux le corps. » Évident, mais cette logique s’étend-elle au sexe des hommes ?
Oui, répond encore Michel Dorais. Les acteurs de films X ne seraient plus du tout les seuls à afficher un pénis nu et glabre. Chez les jeunes en particulier, ce nouveau diktat s’impose, parce que faire l’amour sans poil, « c’est plus propre », et « plus joli »… Dans l’érotisme aussi, la mode a tous les droits, et les femmes ne sont plus les seules à subir cette injonction de l’épilation. « Au Québec, les cliniques qui proposent l’épilation définitive des parties intimes proposent leurs services aux hommes comme aux femmes », assure M. Dorais. Mais pour ceux qui n’auraient pas encore trouvé le courage de franchir la porte d’un salon d’esthétique ou d’une clinique du poil, des produits existent déjà sur le marché. Sur le comptoirdel’homme.com, site dédié aux cosmétiques pour hommes, on trouve une gamme encore assez restreinte de crèmes dépilatoires, de rasoirs spécifiques ou même de cire pour les parties intimes. Sans trop s’avancer, on peut parier que les grandes marques ne tarderont pas à emboîter le pas, « parce qu’aujourd’hui on veut tous avoir un physique d’adolescent », assène le sociologue. Le monde masculin serait donc lui aussi touché par cette « abolition de l’âge », qu’on peut aussi appeler « pédomorphisme », ou « jeunisme ».
« Dans Le monde occidental, ce phénomène est nouveau », estime le sexologue Gilbert Bou-Jaoudé*, qui rappelle qu’en revanche chez les Perses autrefois, les hommes étaient rasés intégralement, tout comme aujourd’hui encore chez les musulmans : « beaucoup d’hommes ont un sexe rasé, pour des raisons d’hygiène et par tradition culturelle ». Ce qui se passe aujourd’hui s’apparenterait plutôt à un « nouveau code érotique », directement hérité de la pornographie. Mais le sexologue attire l’attention sur la nuance entre hommes et femmes dans ce domaine : « Pour le sexe féminin, l’épilation intégrale est à la mode, tout comme les lèvres réduites pour afficher un sexe juvénile. Chez les hommes, on ne peut pas aller trop loin dans ce côté juvénile, les poils sont coupés courts, plutôt que tout à fait éliminés. On préfère tailler proprement à la base de la verge, c’est ce que j’appellerais la "coupe d’été" ».
À ce stade, le lecteur est en droit de se demander ce qui est meilleur pour lui (et pour son membre chéri). D’un point de vue médical, il se pourrait bien que l’épilation nous ait sauvés d’un fléau : les morpions. Les dermatologues ont constaté en effet une quasi-totale éradication de ces vilaines bestioles dans les culottes des messieurs comme des dames. Pour autant, il n’est pas non plus recommandé de choisir l’option radicale de tout raser ou de tout épiler : « les micro blessures ou coupures qui peuvent arriver avec un rasage entraînent un danger d’infection, voire de MST », affirme G. Bou-Jaoudé.
De plus en plus d’hommes pourraient donc afficher un sexe intégralement épilé pour se sentir jeune, et pour ressembler aux corps qu’ils aperçoivent… « Dans la publicité et au cinéma, l’archétype masculin a évolué vers un personnage plus efféminé, et Internet diffuse beaucoup plus de corps d’hommes nus qu’auparavant, donc ils s’identifient forcément ». On peut toutefois nuancer, en constatant que la pratique de l’épilation continue de faire peur aux hommes (prononcez le mot « cire » et vous verrez), si bien qu’elle est souvent cantonnée aux tortures qu’on inflige aux bizuts ou aux futurs mariés… Et il reste toujours des inconditionnels (et des inconditionnelles) du duvet, sur le torse et sur le pénis, attaché(e)s à une masculinité plus « traditionnelle ». En fait les deux écoles ne datent pas d’hier : dans l’Antiquité, le corps velu a été associé aux populations barbares, et a entraîné une certaine classe d’hommes de la haute société à se faire épiler (intégralement) le corps. Suétone raconte d’ailleurs que pour cette coquetterie, César fut la risée de ses semblables. Comme aujourd’hui, l’épilation intégrale était à la fois une marque de distinction et d’originalité suspecte. Cqfd.
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