Le psychanalyste Jacques Lacan avait dit à propos du philosophe grec Diogène (410 av J.-C. – 323 av J.-C.), qui avait pour habitude de se masturber publiquement : « Diogène le cynique affichait au point de le faire en public à la manière d’un acte démonstratoire, et non pas exhibitionniste, que la solution du problème du désir était, si je puis dire, à la portée de la main de chacun, et il le démontrait brillamment en se masturbant ».
Lorsque Adam s’est séparé d’Eve après avoir été chassé du Paradis, il a vécu seul pendant 130 ans, et une légende du Talmud raconte que pendant toutes ces années, lui aussi se masturbait. Assez pour que ses gouttes de sperme soient poétiquement renommées « étincelles de hasard* » et considérées comme maléfiques car donnant naissance, sans le féminin, à toutes sortes d’esprits, démons et démones, dans l’ambiguïté de produire alternativement jouissances et afflictions (en hébreu, les deux mots se construisent à partir des mêmes lettres, dans un ordre différent).
La première démone, dans le récit hébreu, est Lilith, première femme d’Adam et tour à tour déesse mère, représentante symbolique d’un feu matriarcat, insatiable sexuellement, fille du diable, celle qui ne peut être épousée, premier moule d’une longue suite à venir de sorcières et prostituées. L’une des raisons qui aurait poussé Adam à la quitter tiendrait à ce qu’il ne tolérait pas de faire l’amour à Lilith autrement que dans la position du missionnaire. Or la belle n’acceptait pas de se laisser dominer et revendiquait sa position de paire.
Si Lilith a perdu son époux à cause de ses inclinations sexuelles, il ne me semble pas que l’on sache si et comment Eve a trouvé du plaisir pendant les 130 ans de son attente. À l’inverse, la masturbation d’Adam fut si créative, que dans la Genèse, Dieu dit d’Eve que « Elle enfanta » (4:1-2)Abel et Caïn, tandis que 130 ans plus tard, elle est désinvestie du privilège de faire des fils, puisque Dieu dit que c’est Adam qui enfanta (5:3) leur troisième fils, Chèt.
En ces temps mouvementés de mutations où tout semble tendre entre l'infiniment grand (la mondialisation, les réseaux sociaux, mais aussi, du point de vue de la sexualité, les sites de rencontres – des milliers d’hommes disponibles-, …) et l’infiniment petit (nous sommes moins visibles dans ce gigantesque échiquier mondial que nous l’étions autrefois dans un quartier ou un village, et, nous risquant moins vers le monde extérieur, la sexualité virtuelle connaît un vif essor depuis les années 90), j’en reviens aux propos de Lacan sur Diogène : « la solution du problème du désir était, si je puis dire, à la portée de la main de chacun ».
La solution qui est en soi, voilà une idée étincelante, si je puis dire, qui pourra sans doute rendre cyprine et copuline productrices de pensées, matières, libertés et audaces – avec ou sans partenaire – ce qui permettra sans doute aussi, de se passer, comme le philosophe, d’artifices et subterfuges au nom d’une forme d’hédonisme et de pouvoir dire à ceux qui obstruent nos chemins « Ôte-toi de mon soleil ». Une bonne année en perspective, en somme.
* qui est également le titre d’un livre d’Henri Atlan.
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