Au royaume des livres, la littérature sentimentale – qu'on appelle aussi littérature féminine – fait office de vilain petit canard. Grosso modo, on reproche à ce genre son côté "nunuche" et les clichés qu'ils véhiculent bien souvent : l'histoire d'une girl next door un peu fantasque (mais pas trop) qui tombe amoureuse d'un garçon mystérieux (mais pas trop). Alors quand on ouvre Les Michetonneuses, le premier roman de Rose Emilien, on est un peu surpris. Derrière la couverture rose et girly, se cache une histoire pas si classique que ça. L'héroïne d'abord, n'entre pas dans les cases habituelles. Le but d'Heaven n'est pas de rencontrer l'amour mais un mec blindé. Heaven est une michetonneuse. Une fille intéressée par les stars, qui peut donner son corps moyennant avantages matériels ou financiers. Le tableau est donc ambigu. Heaven ne se prostitue pas mais elle tient plus de Zahia Dehar que de Carrie Bradshaw. Dans sa ligne de mire ? Point de footballeur, mais un rappeur.
Apprécier cette héroïne n'est pas chose aisée au début. Heaven et ses trois copines sont superficielles, vulgaires aussi parfois. Et puis elles se font des coups bas. Mais elles dégagent quelque chose de vrai. Derrière ses fringues griffées, la michetonneuse reste une jeune banlieusarde qui cherche surtout un moyen de se faire une place au soleil. Rose Emilien, elle, comprend qu'il peut être compliqué de s'identifier aux personnages qu'elle a créés, "surtout si on a une morale", précise-t-elle non sans humour. Mais elle estime aussi que juger trop rapidement Heaven et les autres, c'est se laisser avoir par les apparences : "On peut se dire qu'elles sont très antipathiques et immorales, mais ce sont aussi des jeunes femmes d'aujourd'hui avec leurs faiblesses et leurs fragilités. Je pense qu'on peut aussi éprouver un peu de pitié pour elles".
Avec ses héroïnes qui préfèrent les paillettes à l'amour, Rose Emilien bouscule à sa manière les codes de la littérature sentimentale. Et puis surtout, elle donne de la visibilité à ces filles issues de milieux populaires, qui ont grandi en périphérie de Paris. Bien loin des personnages féminins typiques qui peuplent ce genre littéraire, les filles des Michetonneuses sont métisses, arabes, asiatiques. Elles sont fières de leurs racines mais ne se laissent pas entièrement définir par cela. Elles se sont construites dans un milieu urbain, entourées de machos, et elles ont donc dû batailler pour s'imposer.
Ce qui fait aussi l'originalité de ce roman, c'est le vocabulaire employé. Rose Emilien est une fan absolue de rap, plus jeune, elle se rêvait même en héritière de Diam's. Et si elle avoue aujourd'hui qu'elle n'aurait probablement pas eu les épaules pour se bâtir une carrière dans ce milieu très masculin, elle a su insuffler dans son premier roman un peu de cet univers. Telle une Booba sur stilettos, Heaven balance punchline sur punchline. C'est parfois très vulgaire, parfois très drôle, mais c'est toujours bien tourné. Preuve de l'influence de la musique sur la jeune auteure, elle avoue que sans le rap, il n'y aurait pas eu Les Michetonneuses. Elle se souvient : "J'ai été inspirée clairement par la chanson de Rohff, Starfukeuze. Je me suis dit : 'pourquoi une fille ne parlerait pas de ce sujet ? C'est toujours les mecs dans le rap qui en parlent'".
Rose Emilien a bien fait de se poser la question. Sa bande de filles n'est pas parfaite, mais ses héroïnes sont drôlement modernes et rafraîchissantes. Des michetonneuses avec un coeur gros comme ça.
Les Michetonneuses, ed. Don Quichotte, 360 pages, 20,90€