"343 salauds" : Nicolas Bedos fait son "mea culpa"
Publié le 2 novembre 2013 à 17:36
Par Antoine Huot de Saint Albin
Nicolas Bedos faisait partie de ces « 343 salauds », signataires du manifeste intitulé « Touche pas à ma pute », qui avait été lancé par le magazine Causeur. Aujourd’hui, il fait son mea culpa et se désolidarise du « mouvement », dans une tribune publiée sur le site du magazine Elle. L’humoriste nous a autorisé à la reproduire dans son intégralité.
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Mea culpa d'un (ex)salaud

Comme me disait ce matin Valérie Toranian, la directrice de ELLE : « Le courage, c’est aussi d’avouer qu’on a fait une belle connerie. » 
Alors voilà, ma Valérie, quitte à passer pour un gros dégonflé – ou pour « une petite bite » (comme diraient mes nouveaux copains de régiment néo-beaufs) – je regrette d’avoir laissé mon patronyme se faire coller au bas de cette étrange pétition et accoler à ceux d’Eric Zemmour, Ivan Rioufol et autres Basile de Koch, qui ne sont pas précisément mes habituels maîtres à penser. D’autant que l’indécence de l’intitulé – qui ose un parallèle prétendument comique avec le combat – à l’époque bien plus noble et « couillu » – des femmes en faveur du droit à l’avortement aurait dû me sauter aux neurones, moi qui suis le filleul tant choyé de Gisèle Halimi, l’une de celles à qui l’on doit cette cruciale liberté. 
« Alors, pourquoi t’as dit oui, connard ? », me hurlent mes vrai(e)s ami(e)s. 
Lorsqu’il y a quelques semaines j’ai reçu le coup de fil d’Elisabeth Lévy, je savais que je ne parlais pas précisément à la fille spirituelle de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, mais il se trouve que cette ancienne collègue de « Semaine critique » (l’émission de Giesbert dans laquelle j’ai sévi), si elle est capable du pire, a aussi la vertu rare de mettre le doigt là où d’autres auraient trop peur de se prendre un coup de jus. Les trois quarts du temps, je ne lis même pas son repaire de virulents conservateurs, et quand je tombe par hasard sur l’un de ces forfaits littéraires, il me tombe aussitôt du cœur. Seulement, force est d’avouer qu’à quelques occasions, par un étrange phénomène dialectique, nos points de vue ont convergé. Ce fut le cas sur « le droit à l’humour sur les Juifs » qu’elle a brillamment défendu dans « Causeur ». Ce fut le cas quand elle sut décrire, mieux que beaucoup de plumes bien-pensantes de gauche, le mécanisme pervers du vote contestataire ; et ce fut le cas, enfin, lorsqu’elle brocarda – avec une vigueur assez revigorante – certaines dérives d’un féminisme dogmatique, aveugle et parano. 
L’autre jour, donc, elle m’appelle pour préparer un entretien au sujet de mon livre (un  roman d’amour dans lequel transparaît très peu mon hypothétique passion pour la prostitution !!!), c’est alors qu’avant de raccrocher, elle m’a branché (assez drôlement, car de l’humour, Elisabeth en aura toujours d’avantage qu’Isabelle Alonso) sur cette pétition dont elle venait d’avoir l’idée suite à une interview de Frédéric Beigbeder. 
« C’est une blague, me jure-t-elle, une simple provoc libertaire ! »
Elle m’apprend au passage que le gouvernement prépare une loi sur la pénalisation des clients de prostituées. En l’écoutant, je vois déjà le vaudeville des pauvres types coursés par les keufs dans les allées du bois du Boulogne, et, j’avoue que, sur le moment, dans mon cerveau de bobo fort éloigné de ce triste milieu, j’ai considéré tout autant la misère sexuelle d’un paumé contraint de sortir des biffetons en échange d’un sinistre orgasme que la détresse morale d’une femme réduite (parfois par d’autres hommes) à monnayer son corps (et son âme). J’ajoute qu’Elisabeth a su très habilement échauffer mon aversion de toujours pour ces politiques qui, en mal d’inspiration, endossent le costume de professeur-la-morale. Qu’il s’agisse des anti-mariage gay, des anti-IVG (ou même, dans un registre plus frivole, des anti-fumeurs), je moquerai toujours les politicards (de droite comme de gauche) lorsqu’ils viennent nous imposer leur vision des « bonnes mœurs » dans le seul but de se faire mousser. 
« Oui, mais partant de ce principe, entends-je dire certain(e)s, on n’aurait jamais aboli l’esclavage ! La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ! En cela, la “liberté” de tes “miséreux sexuels” fait abstraction de celle des femmes dont ils “abusent”»
A cela, j’opposerais les nombreux témoignages de prostituées qui défendent leur droit à vendre leur corps. Figurez-vous qu’il y en a même qui prétendent « aimer cela » ! C’est sinistre, mais c’est vrai. 
D’ailleurs, sur ce point précis, le texte de la pétition est sans ambiguïté : « Nous n’aimons ni la violence, ni l’exploitation, ni le trafic des êtres humains. Et nous attendons de la puissance publique qu’elle mette tout en œuvre pour lutter contre les réseaux et sanctionner les maquereaux. » 
D’ailleurs, je rappelle que le texte – dans son ensemble – est assez mesuré. Depuis hier, je l’ai relu à vingt reprises en changeant plusieurs fois de lunettes, et ce n’est pas lui qui me fait rougir ce soir. 
Le problème – qui est devenu le mien – c’est que personne ne l’a lu ! 
Et pour une raison très simple, c’est qu’Elisabeth Lévy s’est bien gardée de me donner la liste nauséabonde des signataires qu’elle avait déjà dans son sac. Au contraire, on m’a fait miroiter les noms d’Emmanuel Carrère, Yann Moix ou Franz-Olivier Giesbert. 
Or, qui s’intéresse à l’histoire des batailles médiatiques sait que la liste des signataires fait autant sens (si ce n’est davantage) que le texte qu’ils paraphent. 
Résultat : croyez-vous qu’un texte, eût-il eu le mérite de créer un débat légitime, soit audible dès lors qu’il est totalement disqualifié par une liste de réacs notoires dont certains ont fait preuve d’une misogynie militante. 
Si on ajoute à cela le sous-titre « Touche pas à ma pute » dont la vulgarité étouffe toute résonnance humoristique, ainsi que la propension actuelle du « public » à ne voir dans une démarche intellectuelle (voire philosophique) que des intérêts personnels (à savoir la défense de mon droit à jouir entre les jambes d’une inconnue en échange de mon argent – droit dont je n’ai JAMAIS usé !), me voilà à la tête d’une gondole vouée au naufrage. 
Voilà pourquoi, ce soir, je m’empresse d’enfiler mon gilet de sauvetage et de sauter par-dessus bord en espérant ne pas m’être trop éloigné de la rive.
« Trop tard, diront certains (qui adorent regarder se noyer une personnalité publique), tu voulais discuter politique ? Faire de l’humour ? Te voilà étiqueté consommateur militant d’amours tarifées ! Bien fait pour ta gueule ! ».  
Si c’est trop tard, tant pis pour moi, ça m’apprendra à signer par dessus la jambe des textes dont je ne suis pas l’auteur. Car, lorsque je prends moi-même la plume, je crée parfois la polémique, mais celle-ci personne ne m’oblige à la partager avec Eric Zemmour et Basile de Koch ! 
Courage : je fuis !

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Société humour
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