Chaque année au mois de mars, les Indiens célèbrent l'arrivée du printemps par trois jours de festivités. La fête culmine lorsque des milliers de femmes et d'hommes descendent dans les rues pour s'asperger de poudres multicolores censées apporter joie, harmonie et amour à qui en est couvert.
Mais cette année, tout le monde ne pourra participer à cette fête ancestrale et populaire. Le Guardian rapporte en effet que les étudiantes de deux dortoirs de l'Université de New Dehli ne pourront participer aux festivités. Un mémo leur a été distribué pour les informer qu'elles ne pourront pas quitter leur logement à partir de 21 heures le dimanche jusqu'à 18 heures le lundi. Soit "bien après que la plupart des Indiens ont fini de s'asperger de poudre colorée, de danser ou de boire des coupes de bhang lassi, une concoction faite à base de lait et de cannabis", rapporte le Guardian.
Pour justifier cette interdiction, les autorités ont déclaré que ce couvre-feu servait à éviter tout risque d'agression sexuelle. Chaque année, la fête d'Holi est le théâtre de multiples cas de viols et de harcèlement sexuel, problème endémique en Inde. "C'est une fête très sexualisée, explique au Guardian Devangana Kalita, activiste et chercheuse à l'université Jawaharlal Nehru. On vous touche ou on vous tape les fesses ou la poitrine."
"Les parties génitales des femmes sont particulièrement ciblées", souligne Shristi Satyawati, une jeune femme qui a voulu porter plainte – en vain – auprès de la police contre un groupe de jeunes hommes qui ont visé "ses seins et ses fesses" avec des ballons remplis d'eau. "J'étais profondément choquée, mais la police a dit qu'ils ne pouvaient pas recevoir ma plainte. Ils ont dit que c'était Holi et ne pouvaient rien faire à ce sujet."
Il est en effet notoire en Inde qu'à la fête d'Holi, les comportements offensants soient balayés d'un revers de main. "Ne soyez pas offensé, c'est Holi", se justifient leurs auteurs.
"L'idée du consentement n'existe pas au cours de Holi", a déclaré Sabika Abbas Naqvi, présidente du syndicat des foyers étudiants de New Dehli. Selon elle, beaucoup de femmes s'interdisent d'elles-mêmes de sortir durant ces célébrations afin d'éviter d'être la cible de harcèlement.
Pour autant, est-ce la meilleure des solutions de cloîtrer les femmes pour empêcher tout risque de débordement de la part d'hommes ? Pour de nombreuses associations étudiantes, agir ainsi est prendre le problème à l'envers. "Les hommes peuvent rester libre de se promener, mais les femmes, qui sont leurs potentielles victimes, doivent rester chez elle. C'est atroce", s'indigne Sabika Abbas Naqvi.
"La montée de la violence sexuelle et du harcèlement que subissent les femmes autour de Holi est à peine abordée. Au lieu de cela, les femmes sont à nouveau enfermées pour 'leur propre sécurité' avec des restrictions arbitraires", renchérit Pinjra Tod, qui dirige un mouvement étudiant féministe à Dehli.
Encore une fois, ce type de sanction ne pénalise pas les auteurs des violences sexuelles, mais leurs victimes. Ce sont elles qui sont interdites de sortir pour profiter d'Holi, tandis que leurs potentiels agresseurs ne sont aucunement inquiétés ou mieux, sensibilisés aux droits des femmes à se déplacer librement sans être harcelées. Quant aux femmes qui iraient contre les recommandations, elles sont prévenues : en cas d'agression, elles ne pourront s'en prendre qu'à elle-même, semblent dire les autorités.
Selon le National Crime Records Bureau du ministère de l'Intérieur indien, 34 000 viols ont été enregistrés en Inde en 2015. Un viol serait signalé toutes les 22 minutes aux autorités, mais seuls 26,4% d'entre eux aboutiraient à une peine contre les accusés. Avec de telles mesures blâmant plus les victimes que les agresseurs, ce n'est malheureusement pas prêt de changer.