Ben Affleck et Jennifer Garner ensemble au supermarché, en vacances, à la sortie de l'école ou au restaurant avec la petite famille au lendemain de l'annonce de leur séparation dé-fi-ni-tive. Orlando Bloom et Miranda Kerr sublimes, minaudant autour de leur bambin de quatre ans après avoir juré qu'entre eux tout était fini. Gwyneth Paltrow et son uncoupling soft, trottinant paisiblement sur la plage avec son un-époux Chris Martin, couvant du regard les rejetons épanouis autour de papa et mamans pourtant un-amoureux. Et tous vos copains jurant que la bonne entente ménagée avec leur ex fait leur fierté, tant elle est "cool pour les gosses", entendez pas comme eux, qui subirent les silences entre leurs parents séparés, ne s'adressant plus la parole hors de conversations bassement logistiques après leur dernier discours en binôme, "papa et maman ne s'aiment plus mais ils t'aimeront toujours. Tu resteras avec maman, mais tu verras un peu papa bien sûr, ce sera mieux pour tout le monde" et fin de la belle histoire. Ok, mais cette merveilleuse entente post-conjugale est-elle réellement si bénéfique au bien-être de l'enfant ?
"Il y a un grand changement entre les générations précédentes et la nôtre", explique en premier lieu le pédopsychiatre Rafi Kojayan*, que nous avons interrogé sur le sujet. "Le premier, c'est le fait que les pères aujourd'hui sont beaucoup plus présents auprès de leurs enfants. On a de plus en plus de papas très concernés dès la grossesse, de la préparation à la naissance à la salle d'accouchement."
Par ailleurs, une étude a montré la corrélation entre la présence des pères auprès du nourrisson et celle qu'il aura par la suite avec l'enfant devenu ado. Ainsi les "nouveaux papas", de plus en plus enjoints à s'impliquer dans l'éducation dès la petite enfance souhaitent-ils naturellement, contrairement à beaucoup de leurs propres pères, continuer de s'investir dans la vie scolaire et quotidienne de leur progéniture à parts égales. On n'est donc plus dans un schémas "un week-end sur deux et la reste du temps chez maman" mais dans une demande de plus en plus fréquente de garde partagée ou alternée de la part des pères. Or, "l'une des clés de réussite de la garde partagée ou alternée, c'est lorsque le couple parental est préservé. S'il n'y a alors plus couple marital, on fait alors en sorte que le couple parental, lui, continue à fonctionner. Et de la qualité de ce nouveau couple dépendre le bien-être de l'enfant après séparation."
Couple parental versus couple marital, c'est donc de la frontière entre ces deux ménages bien différents dont il s'agit, et de celles, surtout, à ne pas dépasser. Les études l'ont prouvé : les enfants vont mieux lorsqu'ils sont élevés par un couple parental harmonieux que lorsqu'ils subissent une cohabitation chaotique avec un couple marital qui se déchire, n'en déplaise à ceux qui préfèrent "attendre que les enfants soient grands" pour mettre enfin les voiles. En revanche, la discontinuité causée par la séparation doit être pansée du mieux possible. Et c'est forcément "le dialogue, la communication, la transmission d'éléments, d'informations de la vie de l'enfant qui va permettre de [la] tempérer".
Attention toutefois aux fameuses limites qu'il convient de respecter. "Un couple parental qui fonctionne bien ne veut pas dire "on doit tout faire ensemble" parce qu'il faut que l'enfant fasse le deuil de cette séparation", explique ainsi le pédopsychiatre. "Il n'est pas nécessaire de partir en vacances ensemble, de fêter les anniversaires ensemble ou de passer des soirées ensemble pour que le couple parental fonctionne bien."
Pas interdit, non, mais pas obligatoire, surtout lorsque la justification de l'un ou des deux n'est pas uniquement éducative. "Il faut connaître les motivations de cette démarche", avance ainsi Rafi Kojayan. "Si la motivation est la culpabilité de faire vivre à ses enfants une situation qu'on juge intolérable, ça n'est pas bon. Les enfants ne s'y retrouvent pas et cela représente pour eux un véritable frein à leur travail de deuil du couple de leurs parents. Une autre motivation existe : celles de parents ambivalents qui se séparent parce qu'ils ont du mal à cohabiter mais n'arrivent pas à se quitter. C'est mauvais aussi, bien sûr. Les enfants pressentent cette ambivalence et toutes ces situations [anniversaires, vacances ou week-ends "en famille"] vont venir nourrir chez lui le fantasme que ses parents se remettent ensemble."
Qu'en est-il de ces limites lorsque, comme beaucoup, on n'a pas les moyens d'avoir immédiatement chacun son chez-soi, et qu'on est obligés de cohabiter malgré la séparation actée ? La situation est plus que fréquente, ainsi qu'en témoignent le pédopsychiatre, qui reçoit quotidiennement des familles dans ce cas de figure, et auxquels il prodigue quelques conseils élémentaires certes, mais indispensables à l'équilibre des enfants.
"La règle, c'est se respecter mutuellement devant les enfants. Il n'y a évidemment pas pire que des parents qui se déchirent, s'insultent, devant les enfants. Si l'on n'a pas les moyens et l'obligation de cohabiter, il faut s'organiser. Si l'on n'arrive pas à se parler correctement, il faut alors laisser les enfants à la maison et naviguer en allant habiter chez des copains, ses parents, et se relayer dans l'appartement. Je propose cela aux parents pour qui la présence de l'autre devient épidermique. Parfois, on est face à des parents pour qui ça n'était pas ou plus passionnels, qui vivaient déjà presque comme des copains et pour lesquels il n'y a plus d'affect et pour lesquels la cohabitation est plus tolérable. Dans ces cas-là, il faut en revanche que la situation soit claire : qu'ils ne dorment pas ensemble, que chacun ait son espace. Déjà, ils sont sous le même toît donc s'ils continuent à dormir dans le même lit, ça n'a pas de sens. On fait déjà vivre aux enfants une certaine ambivalence, raison pour laquelle il faut être particulièrement clairs. Et essayer de s'organiser pour que les parents ne passent pas trop de temps ensemble, et imaginer des aménagements du temps avec le petit-déjeuner et la dépose à l'école dévolus au père et l'inverse le soir, le père rentrat plus tard et mangeant seul : trouver des moyens pour que les enfants ne soient pas spectateurs des conflits permanents, de violence verbale, de grincements de dents ou de dévalorisations perpétuelles."
Indéniablement oui ! Déjà parce que leurs parents, enfants de divorcés eux-mêmes, font tout pour ne pas commettre les mêmes erreurs, quitte à, parfois, en faire trop (mais ça, c'était avant de lire cet article n'est-ce pas ?). Mais aussi parce que, aujourd'hui, société du zapping oblige, on se quitte bien plus rapidement qu'autrefois, que l'on fait des enfants bien plus tard, et que ceux-ci sont souvent très jeunes lorsqu'on se sépare. Si la situation peut sembler plus cruelle encore, rassurez-vous, il semble que ce soit en fait le contraire, ainsi qu'en témoigne notre pédopsychiatre : "Les divorces plus jeunes sont finalement plus simples. L'adolescence est une période compliquée, où l'enfant est d'une très grande fragilité. Dans les deux générations précédentes, il y a eu beaucoup plus de séparations à l'adolescence des enfants. Aujourd'hui, les enfants sont très souvent très jeunes. Ca n'est pas la même violence ni la même élaboration. il y a également moins de dangers, finalement - il est rare de "tourner mal" à quatre ans... Et puis dans les classes, beaucoup sont dans le même cas, il y a une identification possible. Et des témoignages positifs, de circulation entre gamins qui peut être aussi très "positive". Et même entre pères, avant, on ne pouvait pas s'épauler, se soutenir." Aujourd'hui, si.
Allez, fini de culpabiliser !
* L'Education positive, c'est malin - Les conseils d'un pédopsychiatre pour comprendre et acommagner votre enfant de 0 à 6 ans, par Rafi Korajan et Sandrine Catalan-Massé aux éditions Leduc