C'est cette semaine que le texte de "loi de fiabilité et de confiance de l'information" doit être présentée à l'Assemblée nationale par la majorité parlementaire de La République en Marche (LREM). Ce projet annoncé début janvier par le président Emmanuel Macron vise à lutter contre les "fake news" ou "hoax", c'est-à-dire les informations erronées diffusées en masse sur la toile. Certaines sont parfois suffisamment crédibles pour berner les internautes, mais aussi les médias.
En témoigne la récente histoire selon laquelle la plateforme vidéo Netflix aurait contacté l'un de ses utilisateurs en constatant que celui-ci avait regardé 188 épisodes de sa série préférée en seulement quelques jours. Soucieux de son état mental, Netflix lui aurait alors envoyé un mail pour s'assurer qu'il allait bien.
La plateforme a cependant affirmé via son compte Twitter qu'elle n'avait jamais pris contact avec ledit utilisateur. Relayé par un journal américain début février, l'article a été consulté plus de cent dix mille fois et l'information s'est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
Autre exemple récent : un mail "promotionnel" prétendument rédigé par Air France a été envoyé à plusieurs personnes. Le message en question indiquait que la compagnie aérienne offrait 2 billets gratuits à l'occasion de ses 85 ans. Mais cette (trop) belle offre s'est avérée être une escroquerie.
Selon une enquête Ifop de la Fondation Jean-Jaurès et du site Conspiracy Watch, révélée par France info dimanche 7 janvier, 79% des Français croient à au moins une "théorie complotiste". Si les adultes et certains médias tombent dans le panneau, cela fait donc des enfants et des ados des cibles idéales.
D'où l'intérêt de mettre des outils pédagogiques à leur disposition pour apprendre à repérer les pièges (et donc à les éviter). C'est précisément l'objectif de Rose-Marie Farinella, institutrice à l'école des Taninges, en Haute-Savoie.
Une fois par semaine, cette enseignante de maternelle anime un atelier "chasse aux rumeurs" avec une classe d'élèves de CM2. Avant chaque séance, les écoliers prêtent serment : "Je jure sur la tête et la souris de mon ordinateur qu'avant d'utiliser ou de retransmettre une information, toujours je la vérifierai."
Très investis dans leur mission, ces chasseurs de "fake news" en herbe arborent des masques de Zorro des temps modernes, qu'ils ont fabriqués eux-mêmes avec des coupures de presse. Enseignante en école maternelle depuis 20 ans, Rose-Marie Farinella a lancé ces ateliers "anti-intox" il y a 4 ans.
Cette ancienne journaliste était de plus en plus interpellée par le nombre de "fake news" qu'elle recevait chaque jour dans son boîte email. "Comment vont faire les jeunes générations pour distinguer le faux du vrai si même les adultes n'y arrivent pas ?", s'est-elle demandé.
À la même période, la loi du 8 juillet 2013 rendait l'éducation aux médias et à l'information obligatoire dans les nouveaux programmes scolaires. Un timing parfait pour l'instit, qui réfléchissait depuis quelques temps à créer un atelier pour apprendre aux enfants à gérer les médias. "Les parents d'élèves et mes collègues enseignant·es avaient commencé à me faire part de leurs inquiétudes", nous explique-t-elle.
Les leçons de Rose-Marie Farinella se déclinent en plusieurs séances, et se basent sur un scénario en deux parties, accessible en ligne sur le site de l'Éducation nationale. "Je commence par leur inculquer quelques prérequis. Avant de comprendre ce qu'est une fausse info, il faut être en mesure de repérer une vraie info : distinguer un contenu journalistique d'un publi-rédactionnel, repérer les sources fiables, les médias sérieux...", explique l'enseignante. "Une fois ces notions intégrées, on entre dans le vif sujet : comment débusquer une fausse info", ajoute-t-elle.
En classe, les élèves se prêtent à de nombreuses activités comme le théâtre ou le dessin. Pour Rose-Marie Farinella, tous les supports d'expression sont bons pour se mettre dans la peau d'un détective de l'info. Y compris les jeux de rôle.
"Un exemple que je prends souvent est celui de l'accident de voiture dans un village. Pour savoir ce qu'il s'est réellement passé, les enfants vont devoir enquêter. Chacun endosse un rôle : [journaliste, policier, témoin] et pose des questions en fonction de son identité. Cet exercice a pour objectif de leur faire comprendre à quel point il est difficile de démêler le faux du vrai pour coller le plus possible à la réalité", développe l'ex-journaliste.
Un jeu auquel les enfants se prêtent avec plaisir... tout en prenant la tâche très à coeur. "Les réactions sont souvent positives. Je leur pose des questions, puis ils m'en reposent après. Ils sont très déterminés à connaître la vérité !"
Quand ils sont sur le web, les élèves apprennent aussi à vérifier les sources. Qui a écrit tel article, sur quel site, à quelle date ? Les exemples que prend Rose-Marie Farinella sont exclusivement glanés sur la toile et proviennent de grands médias, de sites moins connus ou encore de contenus parodiques (Gorafi, Bilboquet Magazine).
"J'explique aux enfants, qu'ils doivent toujours vérifier dans les mentions légales quand ils ne connaissent pas le site. Si l'histoire que l'on raconte provient d'un site sérieux, on croise l'information avec d'autres sources fiables".
Parmi les "fake news", l'une se révèle particulièrement repérable : la théorie du complot. "Je me souviens d'un article qui affirmait qu'il y avait des micros dans les détecteurs de fumée qu'on installe dans les appartements. C'est un exemple typique du cas on l'on doit se montrer suspicieux, dans un souci de cohérence et de crédibilité du contenu", explique Rose-Marie Farinella.
Mais il n'y a pas que le texte : les images, elles aussi, peuvent faire l'objet de manipulation. Les écoliers s'exercent donc à repérer les photos "fakes" qui ont été retouchées dans le but de distordre la réalité. À la fin de l'année, les élèves doivent passer un examen qui leur permettra d'obtenir leur diplôme de "hoaxbuster".
Dans un extrait vidéo publié sur la chaîne Youtube Hygiène Mentale (voir ci-dessous) créée par Christophe Michel, les futurs petits chasseurs d'intox décortiquent une image truquée. L'un d'entre eux repère immédiatement le canular, qui avait pourtant réussi à tromper un journaliste expérimenté ! Mission accomplie.