Dites « mère de famille » à un assemblée d’étudiants attablés devant le dernier numéro d’Esquire et observez leur réaction. Il y a de fortes chances pour que, n’étaient les fétichistes gagas de milfs et autres gilfs*, ils prennent un air las, désintéressé ou même vaguement dégoûté (« Quoi ma daronne ? »), avant de replonger dans les nénés des jolies pépés étalés sur papier glacé (à croire que rien n’a vraiment changé depuis les années 1950…). Pourtant, en couverture de leur bible pose aujourd’hui la femme désignée comme la plus sexy de l’année.
Regard de braise, décolleté plongeant, chevelure dévalant en cascade sur son visage ibère rompu aux injonctions des photographes, Pénélope Cruz triomphe. La plus hot, c’est elle.
Pourtant, la brune brûlante a quarante printemps, cet âge limite auquel beaucoup considèrent encore que la vie sexuelle des femmes s’éteint à petits feux, enterrée sous les obligations d’une maternité qui aura relégué la séduction au fond des caisses à jouets ou sous des monceaux de couches crottées. Mère de deux enfants eus sur le tard – à 36 et 39 ans –, l’actrice fétiche d’Almodovar, en cute couple avec le très respecté Javier Bardem, sera parvenue à conserver son aura fantasmagorique malgré deux grossesses affichées sans complexe sur tapis rouge, et une vie de famille vécue à la cool, glacière sous le bras et bob sur le crâne malgré les potentiels cris d’orfraie de son agent inquiet.
Exit, donc, les jeunettes au cuissot adolescent : Rihanna et ses 33 000 euros de dépenses hebdomadaires en soins esthétiques, Jennifer Lawrence et son derrière poupin, Megan Fox et son visage en plastaga, Miley Cyrus et son entrejambe omniprésente. Sans le savoir, les hommes fantasment ainsi sur l’une de celles dont ils ne cocheraient pour rien au monde les caractéristiques sur un site de rencontre. WHAT ? 40 ans ? Deux enfants ? 46 pour Sophie Marceau, devant laquelle ils se roulent pourtant d’un désir jamais éteint ? 48 pour Halle Berry et ses deux marmots encombrants ? Yerk.
Le gap entre l’idée que l’on se fait de la post-quadra passée par la case carnet de correspondance, cartable et réunions de parents d’élève et ces femmes attirantes que l’on croise dans la rue « en civil » est immense, et il serait temps que les hommes – mais aussi les médias et la société dans son ensemble – s’en rendent compte. Il y a quelques années, nous nous étions enflammées contre un papier paru sur le site Slate, lequel s’interrogeait sur la vie sexuelle des « femmes mûres », entendez de plus de 35 ans. Présentée comme une prédatrice ne pouvant plus plaire qu’à des petits jeunes innocents pris dans ses filets, la quadra était alors reléguée au rang de cougar dont le seul espoir d’un quelconque rapport avec la séduction résidait dans la chasse, n’étant plus elle-même chassée. Et puis quoi encore ?
Pénélope Cruz est lu la plus belle femme du monde par le magazine Esquire à 40 ans prenez-en de la graine les gamines pic.twitter.com/7ecvrwkS72
— manofsteel (@angeletmathieu) 14 Octobre 2014
« Si elle n’est plus l’objet de convoitise qu’elle a été plus jeune, elle sera la prédatrice », nous expliquait le billet sociologiquement fort documenté sur ces vieilles qui ne font plus recette. Un certain Michel Bozon, sociologue de son état, ajoutait enfin une dernière pelletée à ce constat enterrant à tout jamais l’attractivité de la post-quadra en assénant : « «Pour les femmes de plus de 35 ans, ce n’est pas seulement l’accès à la vie en couple qui devient délicat, mais, en amont, la rencontre de partenaires amoureux qui devient plus difficile et moins recherchée. Ce n’est pas le cas pour les hommes. L’âge a ainsi un sexe.»
Et le sexe a un âge, donc ?
N’en déplaise à nos spécialistes de la péremption féminine, en 2014, la femme la plus désirable du monde a depuis belle lurette outrepassé la première fraîcheur garantie pure plaisir, et coule même des jours heureux avec un mâle de son âge sur lequel ni jeune ni vieille n’aurait l’idée de cracher. Quant à la belle, interrogée sur son récent titre, elle aurait répondu avec une candeur qui l’honore : « Je ne me sens pas du tout comme la plus belle femme du monde. Plutôt comme une maman qui ne dort pas assez. » Toujours ce fameux gap entre l’idée qu’on se fait et ce que l’on voit.
*grannies I'd like to fuck