Laure Charpentier : En fait il n’y en avait presque pas, excepté quelques histoires sulfureuses de Régine Desforges, mais ce n’étaient pas vraiment des livres érotiques. Il y a dans le livre une scène très crue, -la fameuse scène de la canne- qui est restée en travers de la gorge du censeur. La même scène entre un homme et une femme serait passée, surtout ne pas sortir de la « normalité » ! Mais le personnage même de Gigola a choqué, son désespoir comme son mépris total pour les femmes qui la paient, elles ne sont que des objets de plaisir à ses yeux, c’est tout sauf de l’amour, c’est très violent.
L. C. : Il y a une part de vrai, et une part d’invention. Je n’ai tué personne, mais en effet je m’identifie au personnage. Je me sens parfois comme marionnettiste avec une marionnette qui s’appelle Gigola. J’ai toujours eu envie de parler des choses dont on ne parle pas. J’ai écrit ce livre pour montrer ces lieux et cette époque ; le dandysme féminin et l’élégance des femmes qui portaient le monocle, tout un monde qui a malheureusement disparu. Cet univers était déjà dérangeant, et tabou.
L. C. : La productrice a lu « Père, impair et passe », paru chez Denoël en 1998, et a voulu lire « Gigola » ensuite. Je me suis dit qu’après elle ne voudrait plus jamais me parler, mais elle m’a appelée le lendemain matin pour me proposer de faire un film avec les deux romans. Elle m’a avoué que ce n’était pas son truc, mais qu’il y avait un vrai sujet. L’homosexualité féminine est encore très taboue, les hommes ont gagné une visibilité que les femmes n’ont toujours pas.
Bande –annonce du film :
L. C. : A cette époque-là les cabarets féminins étaient hantés par des femmes en quête de sensations et de frissons interdits. Elles venaient chercher des garçonnes, parfois avec leur mari. Aujourd’hui il n’y a plus aucune adresse comme « Chez Moune » ou « le Monocle » décrites dans le livre, qui étaient des lieux féminins très raffinés. Quand on arrivait chez Moune, elle donnait une cravate ou un nœud papillon à celles qui n’étaient pas assez habillées. C’est ce dandysme féminin qui était beau. Aujourd’hui ce personnage de garçonne s’est « butchisée » (La « butch » est une lesbienne habillée comme un homme, ndlr), elle porte un marcel, un jogging et des baskets. Pourtant sur la page Facebook de Gigola, une femme m’a assuré qu’il existait plein de femmes comme « Gigola », tant mieux si la relève est assurée !
L. C. : Il n’y a presque rien au cinéma. J’ai vu « Boy’s don’t cry » (de Kimberly Peirce avec Hilary Swank), « Bound » (de Andy et Larry Wachowski), mais en France il n’y a eu que « Gazon Maudit » ( de Josiane Balasko avec Victoria Abril), que je trouve plutôt ridicule. Le sujet dérange toujours autant. Même si mon livre est autorisé aujourd’hui, le film a essuyé les pires critiques en France, alors qu’à l’étranger on l’accueille en triomphe : Sibérie, Corée du sud, Canada, Ukraine, Japon, tous ont acheté le film. Mais en France on le voit avec horreur. C’est la même France qui m’a censurée en 1972, on n’a pas bougé. Pourtant nous avons obtenu le Prix du premier film au festival européen de Séville. Gigola permet au moins de faire parler.
L. C. : Je l’ai choisie parce qu’elle avait une personnalité, quelque chose en plus. J’ai senti qu’elle serait capable de jouer Gigola. Elle ne me ressemble pas du tout, mais je voulais justement quelqu’un de différent, au caractère fort. Elle s’est glissée dans la peau du personnage et a assuré pendant le tournage : pourtant certaines scènes n’ont pas été faciles à tourner… Lou m’a dit récemment que Gigola l’avait vampirisée. On ne sort pas indemne de ce genre de film.
« Gigola », roman de Laure Charpentier, Fayard, 16 Euros.
« Gigola », le film, de Laure Charpentier avec Lou Doillon, Marie Kremer, Marisa Paredes, Thierry Lhermitte. Actuellement en salles.
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