"Je n'avais jamais rien vu de tel, des carcasses gisaient partout, des familles entières côte à côte, entre trois et sept animaux, totalement anéantis." En survolant la réserve naturelle de Selous, en Tanzanie, Howard Frederick est sous le choc. Conseiller technique sur l'étude sur le recensement des éléphants, il reste bouche bée devant le vide de la réserve naturelle. "Avant, en volant au-dessus de cet immense territoire, ou même en y passant en voiture, l'on voyait des douzaines et des douzaines d'imposants éléphants males. Il y a avait un vrai sentiment de vie grâce à ses créatures, qui manque désormais. C'est un vide total", explique-t-il au journal The Telegraph .
Les chiffres glacent le sang. Au sein de la réserve, l'Insitut de recherche sur la vie sauvage Tanzanienne a procédé au recensement de la population. En 2013, on dénombrait environ 13 000 éléphants, le chiffre le plus bas depuis le premier recensement de 1976. A l'époque, la population d'éléphants s'élevait à près de 109 500 individus. Depuis 2009, soit en quatre ans, près de deux tiers de la population de la réserve (66 %) ont été décimés. Une tendance affolante qui fait écho à celle dans l'ensemble du pays puisque la population d'éléphants a décliné de 60 % entre 2009 et 2014.
La cause d'un tel fléau ? Le braconnage qui sévit dans le pays et y fait des ravages. Poussés par une demande d'ivoire en Chine de plus en plus forte (le Telegraph rapporte que le développement des classes moyennes en Chine s'accompagne d'une envie d'objets exotiques en ivoire), les braconniers sévissent en bandes organisées. Face à une poignée de gardes découragés, ils tuent rapidement et en grand nombre, ne laissant pas le temps d'agir. "Vous avez une première équipe qui vient et qui repère la zone, arrive ensuite l'équipe de tueur qui éxécute le groupe", explique Howard Frederick. "Ils s'en vont vers une autre zone pendant que l'équipe de boucher extrait les défenses avant l'arrivée de l'équipe de transporteur." Une mécanique bien organisée par des bandes souvent basées à Dar es Salaam, grande ville portuaire assez proche.
Une situation dramatique qui intervient dans le fort contexte de corruption qui grangrène le pays. Comme l'explique Mary Rice, directrice executive de l'Agence environnementale d'investigation interrogée par National Geographic : "C'est un peu comme avec la Fifa... C'est l'une de ces situations où tout le monde sait qu'il y a de la corruption et qui sont les personnes corrompues. Mais on n'a pas réussi à les attraper. Et c'est très semblable au trafic d'ivoire. On sait qu'il y a des gens très investis là-dedans, des gens puissants impliqués dans des activités criminelles autour de ce trafic. Et on sait que ces gens savent qui ils sont."
Le gouvernement, lui, ne semble pas vouloir reconnaître l'ampleur des dégâts. Alors qu'à Ruah Rungwa, autre région de Tanzanie, le nombre d'éléphants baisse dangereusement, le ministre tanzanien du tourisme déclarait que cette disparition était peut-être la conséquence d'une migration des animaux dans les pays voisins. Son argument : peu de carcasses ont été retrouvées. Mais, comme le fait justement remarquer Slate, le directeur de programme des espèces de WWF Monde affirmait le même mois que le braconnage était la seule raison qui permet d'expliquer la disparition des éléphants à Ruaha Rungwa. Pour des bandes aussi organisées, faire disparaître les corps est chose aisée.
Le gouvernement ne semble donc pas prêt à reconnaître pleinement le problème. Plus inquiétant, le pouvoir a même fait passer une loi jugeant comme criminelle la publication de quelconques données non validées par le bureau national des statistiques. C'est le cas du recensement des éléphants pour l'année 2014 dont aucune date de publication n'a encore été approuvée, prétextant le besoin d'une "seconde validation". Les chiffres ayant fuité semblent pour le moins inquiétants, accusant encore des baisses toujours affolantes.
Face à une telle situation, l'ONG Rainforest Rescue a lancé une pétition dénonçant la censure du gouvernement pour taire l'ampleur du massacre. Elle souhaite éveiller les consciences pour faire bouger les choses. Nombreux gardent en effet l'espoir de pouvoir sauver les éléphants de Tanzanie. Au Telegraph, le Dr Alfred Kikoti, expert tanzanien des éléphants, confiait : " Je pense que si le gouvernement décide demain qu'il ne veut pas que cela continue et qu'il est prêt à s'occuper du problème, alors il est possible d'inverser la tendance."