Commençons par l'Histoire. Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt est révolutionnaire à plus d'un titre. Bourgeoise du XVIIIe siècle, elle s'enfuit de chez son père à l'âge de 13 ans, et multiplie les aventures un peu partout en Europe. Elle porte la cravache, le sabre et le pistolet, et s'emballe pour la Révolution Française (elle participe à la prise de la Bastille, puis marche en tête du cortège qui va à Versailles réclamer du pain). Artiste, courtisane, politique, celle que l'on nommait " La belle Liégeoise " ou " l'Amazone rouge " est aussi l'auteure du " Catéchisme libertin à l'usage des filles de joie et des jeunes demoiselles qui se destinent à embrasser cette profession ", livre dans lequel apparait pour la première fois le terme de " 69 ", qui a depuis fait le tour du monde. Elle disparait de la scène publique lorsque - déjà amère d'une révolution qu'elle considère ratée - une querelle a lieu entre Girondins et Jacobins à l'Assemblée Nationale, qui lui vaut d'être dénudée et humiliée par un groupe de femmes qui la fessent publiquement. Elle échappe à la guillotine placée à l'asile par son frère, où elle vit nue jusqu'à sa mort. Celle qui a inspiré Les Fleurs du mal à Baudelaire, serait aussi celle que l'on voit, les seins nus, dans le célèbre tableau de Delacroix, " La liberté guidant le peuple ".
Il y a quelque chose de délicieux à se dire que celle qui a donné un nom à la plus connue des positions sexuelles affranchies, est celle qui symbolise la révolution et la liberté.
L'occasion est trop bonne pour se priver d'un raccourci : et si la pratique du 69 était justement tout cela ? Un rapport sexuel paritaire, qui sent bon le sexe - difficile d'être plus près de la chose - et qui permet dans une masturbation mutuelle d'user au mieux de ses cinq sens : l'excitation monte à la vue de l'organe du partenaire, les effluves chargées de phéromones viennent titiller l'odorat, les peaux vibrent de se toucher, l'ouïe s'aiguise aux sons des jouissances du partenaire, le goût de l'objet convoité dans sa bouche enivre et, comme si cela ne suffisait pas, une divine sensation monte du bas-ventre, fruit du labeur de l'autre. On oscille entre les plaisirs, se laissant par instant glisser vers l'égoïsme pour mieux profiter des coups de langues habiles qui portent jusqu'à l'orgasme, ou délaisser un peu ses propres sensations pour jouir du bonheur de voir l'autre succomber à son tour.
Le symbole du Yin et du Yang, dans la Chine ancienne, vantait déjà la perfection de cet équilibre. Le Kamasutra, qui, lui, désigne la position sous le nom de " Congrès du corbeau ", a choisi cet animal solaire, car cette forme d'union possèderait un feu puissant et permettrait à chacun d'avoir le " feu " de l'autre.
Ceux et celles qui sont rebutés par ce partage d'une intimité intégrale, de tant se livrer à l'autre, n'ont aucune raison de se forcer. Mais qu'ils se souviennent au moins que la révolution et la liberté sont à jamais liées à cette position et que ce n'est peut-être pas anodin ...