Les mains virevoltent dans un ballet raffiné. Les visages sont animés, les sourires espiègles. Le silence est à peine troublé par le souffle des ventilateurs. Dans cette école pour sourds au Pakistan, les élèves apprennent à communiquer et reprennent goût à la vie.
Sur plus d'un million de Pakistanais sourds en âge d'être scolarisés, moins de 5% vont à l'école. Ce pourcentage diminue encore pour les filles. Sans langage pour s'exprimer, beaucoup sont marginalisés par la société ou même leurs familles.
A Lahore (est), le programme privé Deaf Reach enseigne la langue des signes en anglais et ourdou à plus de 200 élèves, surtout issus de milieux défavorisés.
"Il y a un énorme manque de communication (au Pakistan), où les gens ne connaissent généralement pas la langue des signes", affirme à l'AFP Qurat-ul-Ain, une élève sourde de 18 ans, arrivée il y a un an.
A Deaf Reach, "je suis très heureuse. J'ai des amis, on communique ensemble, on plaisante, on partage nos histoires, on se soutient (...) Ca fait du bien de pouvoir partager nos sentiments et nos pensées", ajoute la jeune fille, dont l'intensité des traits accentue le jeu des mains.
Les classes ouvertes, sans bruit, respirent la joie de vivre. Les interactions avec les enseignants, dont beaucoup sont aussi sourds, sont ponctuées de grands sourires. Chacun a un nom en langue des signes, souvent lié à une caractéristique physique.
Les plus jeunes apprennent avec des visuels: à une image sont associés un mot et un signe. Quand chacun passe au tableau, les élèves tournent le pouce vers le bas pour une mauvaise réponse et font le signe de l'applaudissement -- les mains qui tournent sur elles-mêmes -- pour une bonne.
Les sourds sont privés de langage dans de nombreux pays. Selon leur fédération internationale, 80% des 70 millions de sourds du monde n'ont aucun accès à l'éducation.
Au Pakistan, où le taux d'illettrisme avoisine les 40%, l'offre d'éducation pour eux est minimale.
Dans les écoles pour entendants, ils peuvent être moqués et se décourager rapidement. Et dans les écoles publiques pour sourds, ce n'est pas forcément la langue des signes pour le Pakistan (PSL), une version uniformisée pour le pays, qui est enseignée.
La langue des signes varie d'un pays à l'autre, avec une culture propre associée et des déclinaisons régionales.
"Les enseignants à l'école gouvernementale ne connaissaient pas la langue des signes. Ils écrivaient juste des mots au tableau et nous disaient de les copier (...) On était vraiment découragés et je m'inquiétais énormément pour mon avenir", raconte Huzaifa, 26 ans, venu suivre un apprentissage à Deaf Reach.
Le programme, qui couvre intégralement les frais de scolarité pour 98% des élèves, les autres payant selon leurs moyens, a aussi trouvé un emploi à plus de 2.000 personnes sourdes auprès d'une cinquantaine d'entreprises.
"Si (mes parents) ne m'avaient pas soutenu pour mon éducation, je travaillerais comme journalier quelque part, à ramasser les feuilles ou à maçonner", souligne le jeune homme, devenu sourd en bas âge après avoir contracté une fièvre, un phénomène courant dans les campagnes.
La grande majorité des élèves viennent de familles entendantes. La langue des signes -- que Deaf Reach enseigne aussi aux parents -- a permis à beaucoup de se retrouver.
"Quand je ne le comprenais pas, il se cognait la tête contre le mur et le plancher", se rappelle Adeela Ejaz, 35 ans, mère d'un garçon de dix ans à Deaf Reach depuis deux ans.
"C'était dur pour tout le monde, car personne ne savait comment communiquer avec lui", poursuit-elle. "On nous disait qu'il était sourd, mais je n'étais pas prête à l'accepter."
"Je serai reconnaissante à Deaf Reach jusqu'à mon dernier souffle de m'avoir appris le langage des signes (...) Je peux communiquer avec mon fils. Il est maintenant très attaché à moi."
Fondé en 1998, Deaf Reach éduque aujourd'hui 2.000 élèves dans huit écoles. Le programme recourt largement à la technologie et propose un dictionnaire en ligne et une application téléphonique.
Avant, "je restais sans rien faire à la maison, à regarder mon téléphone ou jouer dehors. Je n'avais pas la moindre idée de ce que les gens disaient", explique Faizan, 21 ans, depuis 11 ans à Deaf Reach.
"Maintenant, j'ai confiance en moi. Avant, j'étais faible dans ma tête, j'avais un complexe d'infériorité et peur. Heureusement, tout ça a disparu", déclare-t-il, disant rêver d'aller travailler à l'étranger.
Le Pakistan s'est doté de lois contre la discrimination liée aux handicaps et "nous avons au fil des ans vu la mentalité beaucoup changer", relève Daniel Marc Lanthier, directeur des opérations de la fondation à l'origine de Deaf Reach.
"Avant, les gens cachaient leurs enfants sourds, gênés ou honteux, comme si c'était une marque d'infamie. Maintenant ils s'ouvrent, demandent une éducation, un emploi pour leurs enfants."
Deaf Reach entend maintenant essaimer de plus petites structures, "pour que l'éducation des sourds puisse être propagée dans tout le pays", souligne M. Lanthier. "Parce qu'avec un million d'enfants sourds qui n'ont pas accès à l'école, c'est un énorme défi."
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