Lucie Marie Martin (Virginie Ledoyen) va à l'école chez les soeurs où on apprend avec sévérité la Bible par coeur. À l'âge de douze ans, en 1882, elle est embauchée dans la région de Grenoble comme apprentie dans une usine textile qui produit de la soie à Péage-de-Vizille.
Les journées sont longues : parfois jusqu'à 12 ou 14 heures de travail chaque jour pour ces ouvrières. On retrouve Lucie Marie Martin adulte, elle a désormais 20 ans. À l'atelier, le contremaître n'hésite pas à faire son marché parmi les jeunes ouvrières pour pouvoir les violer dans une remise, au vu et au su de toutes.
L'une d'entre elles, traumatisée par son viol, coupe l'appareil du contremaître avec une paire de ciseau, pendant qu'il l'agresse une deuxième fois. L'homme, meurt vidé de son sang.
Dans le même temps, Lucie rencontre le garde champêtre du coin, Pierre Jean Baud (François Cluzet), un veuf plus âgé de vingt ans. Ils ne tardent pas à se marier. De cette union, naissent deux filles et un garçon qui meurt en bas âge. Seulement dix ans après leur mariage, le mari de Lucie devenue Baud, meurt soudainement. Elle se retrouve seule avec deux enfants sur les bras à 32 ans.
Pendant ce temps-là, l'usine ferme plusieurs semaines, toutes les ouvrières sont sur le carreau, au chômage technique et sans argent. Une fois l'usine rouverte, le patron a drastiquement baissé les salaires. C'est inacceptable pour Lucie.
Dans un bar, elle assiste au discours de Charles Auda un syndicaliste du Rhône qui galvanise l'auditoire. Il lui donne le courage de faire grève pour de meilleurs salaires. Seulement quatre mois après la mort de son mari, Lucie fonde et dirige le Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille.
Elle mènera plusieurs grèves de front, et sera également la seule femme déléguée syndicale au congrès national de l'industrie du textile à Reims en 1904. Mais on la pose sur la scène telle une plante verte, on ne lui donne pas la parole. Elle est furieuse.
Le film évoque également le sort des Italiennes recrutées par le prêtre de la paroisse locale, de mèche avec le directeur de l'usine. Ponctionnées d'une grande partie de leur salaire malgré de belles promesses, elles vivent dans une misère noire.
S'il y a parfois des imperfections, ce téléfilm a le mérite de nous replonger dans le combat de femmes oubliées. Lucie Baud fait face à des hommes qui ont voulu lui voler la parole. On voit le visage de ses camarades, on connait leur vie. Ces femmes modestes ont laissé leur marque dans l'Histoire.
Ce biopic nous rappelle également la double injustice subie par les ouvrières qui se poursuit encore aujourd'hui. Être une femme dans le monde du travail, revient à être moins considéré qu'un homme.
Virginie Ledoyen est parfaite dans son rôle. Elle incarne parfaitement Lucie Baud. Le film est rythmé par les chants des ouvrières, ce qui nous replonge encore plus dans l'ambiance ouvrière du tournant du XXe siècle.
Ce téléfilm nous donne envie de lire ou relire l'oeuvre de Michelle Perrot, cette historienne qui s'intéresse à la vie quotidienne des femmes de toute origine afin de leur redonner une visibilité. Considérées comme peu importante et négligées, les archives des femmes disparaissent, laissant des traces beaucoup moins nombreuses que celles des hommes.
Lucie Baud nous a d'ailleurs laissé un témoignage d'une dizaine de pages, publié par Michelle Perrot, où elle écrit une phrase à propos de son patron qui est reprise dans le film : "Un capitaliste qui fait danser les millions que d'autres gagnent pour lui". Dans un entretien donné au Nouvel Obs, Michelle Perrot explique : "Quoi qu'il en soit, c'est exceptionnel qu'une ouvrière de cette époque prenne la parole en disant "je". Ce "je" qui deviendra par la suite un "nous"".
Si vous n'avez pas le temps de regarder ce téléfilm ce vendredi 24 août, il est d'ores et déjà disponible en replay sur le site d'Arte .
La mélancolie ouvrière, de Gérard Mordillat, à 20h55, avec Virginie Ledoyen et François Cluzet