Le tennis serait-il en train d'opérer sa mue ? La première secousse est venue d'une remarque de Bernard Giudicelli, le président de la Fédération Française de Tennis, qui réagissait dans une interview à la tenue de Serena Williams à Roland-Garros en mai dernier. Celle-ci avait joué dans une combinaison noire intégrale qui permettait à son sang de mieux circuler alors qu'elle avait failli mourir d'une embolie pulmonaire quelques mois plus tôt après son accouchement.
Bernard Giudicelli avait joué à la fashion police, indiquant que cette tenue n'était pas appropriée pour une joueuse. Guy Forget, qui dirige aujourd'hui Roland-Garros, lui avait emboîté le pas, promettant une réforme des tenues pour mettre en place un code vestimentaire.
Ensuite, il y a eu l'apparition furtive d'une brassière à l'US Open, celle d'Alizé Cornet, qui a reçu un avertissement pour avoir remis son t-shirt à l'endroit sur le court. Elle avait pu compter sur le soutien d'un très grand nombre de joueuses dans un élan de sororité. Elle s'en était étonnée : "Je les sentais sur le qui-vive, elles étaient prêtes à faire la révolution, c'est incroyable !"
Elle-même pense avoir fait bouger les lignes dans un entretien à RTL : "Maintenant c'est clair. Grâce à cela, j'ai envie de dire, il y a une règle qui est sortie comme quoi les filles aussi ont le droit de changer leur tee-shirt sur le court. Il fallait que cela arrive, j'ai contribué à cela dans le tennis!"
Et puis il y a eu une nouvelle fois l'immense Serena Williams qui est à une marche d'égaler le record de 24 victoires en grand chelem.
La joueuse américaine de 36 ans n'a accouché qu'il y a un an et était ce samedi 8 septembre en finale de l'US Open. Alors qu'elle était en difficulté face à son adversaire, la Japonaise Naomi Osaka, l'arbitre lui a mis un avertissement pour "coaching", ce qu'elle a vivement contesté. Le coaching est le fait de recevoir des conseils de son entraîneur ou de son entraîneuse pendant le match, que cela soit par le biais de mots ou de signes discret. C'est normalement interdit mais rarement sanctionné. Ici, Serena explique n'avoir pas vu les signes de son entraîneur.
Elle a ensuite reçu un nouvel avertissement pour bris de raquette. Elle est alors allée s'expliquer avec l'arbitre, le qualifiant de "voleur". L'arbitre Carlos Ramos lui a collé un troisième avertissement, cette fois-ci pour insulte. Cumulée, les trois avertissements ont valu à Serena Williams une pénalité d'un jeu.
La championne a expliqué au bord des larmes sur le bord du terrain au juge arbitre : "Des hommes ont dit des choses bien pires et ils n'ont rien eu, c'est injuste". L'Américaine s'est finalement inclinée face à Naomi Osaka.
En conférence de presse après le match, où elle a terminé sous les applaudissements, Serena Williams a déclaré très émue qu'elle continuerait à se battre pour l'égalité femmes-hommes et qu'elle s'insurgeait contre la différence de traitement entre les sportifs et les sportives dans le sport : "C'est scandaleux, et le fait que doivent vivre ça est juste un exemple pour les personnes après moi qui ont des émotions et qui veulent s'exprimer, et qui veulent être des femmes fortes. Elles pourront le faire, grâce à ce qu'il s'est passé aujourd'hui. Peut-être que ça n'a pas marché pour moi, mais cela marchera pour la personne suivante."
Deux choses sont notables dans cette finale de l'US Open : la décision de l'arbitre tout d'abord, qui pour les spécialistes du tennis, est particulière. Même si l'avertissement respecte la règle, le "coaching" n'est que rarement sanctionné. Puis ce sont les commentaires qui ont suivi la réaction de Serena Williams qui ont débordé vers la misogynie. On a pu lire : "Un psychodrame à New York", "Un pétage de plombs", "Une diva". Un sexisme latent qu'ont dénoncé les internautes.
Même l'ancienne joueuse Billie Jean King, connu pour avoir battu un homme pendant un match de tennis, a fait part de sa réaction sur Twitter : "Quand une femme est émotive, elle est 'hystérique' et elle est pénalisée pour cela. Quand un homme fait la même chose, il est 'franc' et il n'y a aucune répercussion. Merci, Serena Williams, d'avoir rappelé ce double standard."
Elle a également reçu le soutien de la productrice et scénariste de séries Shonda Rhimes : "Serena a raison. J'étais là. Et pire, il en rajoutait."
Les décisions de l'arbitre lors de la finale de l'US Open ont poussé la Women Tennis Association (WTA) à réagir dans un communiqué publié lundi 10 septembre sur son site internet. En quelques mots, l'organisation, présidée par un homme Steve Simon, a salué la victoire de Naomie Osaka, mais soutient aussi Serena Williams : "Hier a été mis au premier plan la question de savoir si des normes différentes sont appliquées aux hommes et aux femmes dans l'arbitrage des matches. La WTA croit qu'il ne devrait y avoir aucune différence dans les normes de tolérance entre les émotions exprimées par les hommes et les femmes et s'engage à travailler avec le sport pour assurer que tous les joueurs soient traités de la même façon. Nous ne croyons pas que cela ait été fait hier soir."
L'association espère que cette finale chaotique ne se reproduira pas : "Le match d'hier mettait en lumière l'une des nouvelles vedettes du tennis ainsi que l'une des plus grandes joueuses du monde. Nous attendons avec impatience d'autres matches palpitants entre ces grandes athlètes et espérons que ce dont nous avons tous été témoins hier ne se reproduira plus jamais."
Qu'une grande instance s'engage ainsi est un pas de plus vers l'égalité de traitement sur les courts de tennis.