D'abord, il y a l'amitié. Depuis deux, cinq, dix ans, si ce n'est plus. De la complicité, des rires partagés, des centres d'intérêt communs et une connexion mentale évidente. Parfois, il y a aussi une proximité physique. Souvent "sans ambiguïté". On se fait des câlins, on dort ensemble, on se trouve beau sans pour autant éprouver du désir. Jusqu'au moment où on passe le cap. Celui d'avoir un rapport sexuel.
Publiée ce mercredi 21 décembre 2022 pour le réseau social libertin Wyylde, une enquête Ifop s'intéresse aux diverses formes de sexualité occasionnelle des Européennes. Selon l'étude, nombreuses sont les Françaises âgées de 18 à 24 ans à avoir déjà couché avec un ami (41 %). Les enquêteurs ont interrogé un échantillon de 5 000 femmes représentatif de la population de la France, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Allemagne et du Royaume-Uni, sur des questions comme les aventures sexuelles éphémères ou le "chemsex". Pour ce qui est du sexe entre amis, les Anglaises sont 42 % à l'avoir pratiqué, contre 26 % des femmes italiennes de cette même tranche d'âge.
Mais "coucher avec un ami, ce n'est pas un truc à cocher sur une liste. Il faut le faire lorsque les deux en ont réellement envie", avertit Alice, une journaliste agenaise qui a accepté de témoigner. Il y a forcément un risque de détériorer la relation. Pour diverses raisons, Alice et six autres personnes ont cédé à l'appel de leur désir. Ils ont transgressé la règle d'or du contrat amical. Chacun avec son contexte, ses perspectives différentes et ses retombées aléatoires.
Qu'est-ce qui rend l'amitié si spéciale ? "Il y a très peu d'exigence dans cette relation", selon l'essayiste Emmanuelle de Boysson, coautrice d'Ami, amie pour la vie avec Claude-Henry du Bord. "En même temps, on peut tout se dire, on se fait confiance. Le rapport amical est tellement satisfaisant qu'on ne prend pas le risque de le briser."
Pourtant, une amitié qui aboutit sur un rapport sexuel ressemble à toutes les autres. Ils ont tous vécu plus ou moins le même schéma. Amis de longue date, ils tissent tous des liens forts. "On partageait notre vie personnelle, intime, on se racontait tout", raconte Charlotte, une Parisienne de 28 ans. "Tous nos amis disaient : vous allez finir ensemble. C'est vrai qu'on se ressemblait beaucoup", avoue-t-elle après coup.
Son histoire amicale ressemble à celle de Mike, un designer installé en banlieue parisienne : "On est de la même bande de potes depuis le collège. Quand on partait en vacances, on dormait ensemble. Mais il n'y avait pas d'ambiguïté, pas de massage, pas de papouille."
Il lui avoue autour d'un jeu en soirée qu'il coucherait avec elle s'il devait choisir dans leur bande de potes. Elle aussi. Mais ils n'en parlent jamais autrement.
Comme tous les autres, Alice partage avec ce garçon des points communs et des centres d'intérêt. Ils aiment tous les deux le cinéma, font des soirées où ils dorment dans le même lit. Là aussi, sans ambiguïté.
Tous n'ont pas remarqué une forme de drague avant le passage à l'acte. Lola (les prénoms ont été modifiés), juriste, lui faisait des "papouilles devant la télé, mais ce n'était pas de la séduction." Jean, 24 ans, a senti que son ami le draguait. "J'aimais ça, alors j'en ai joué. On se faisait des petites taquineries. On avait déjà parlé de coucher ensemble, mais sous forme de blagues." Sans pour autant l'envisager réellement. Son ami lui plaît, mais sans plus. Lola le trouve mignon, mais ce n'est pas son style. Alice le trouve beau garçon. Comme beaucoup de ses potes.
Certains assument un léger désir. Charlotte a un peu d'attirance mais n'envisage pas de coucher avec lui. Mike trouve son amie à son goût. Zachary n'en a jamais ressenti pour celle avec qui il était "très confident". Jusqu'au jour où "son odeur m'a fait quelque chose".
Adrien, un commercial originaire d'une ville moyenne, est le seul à concéder clairement son faible pour elle : "Je la trouvais belle mais je pensais qu'elle n'avait rien pour moi. Je la draguais pour rigoler, on était tactile. On avait déjà parlé de coucher ensemble sur le ton de la blague. Elle me racontait qu'elle faisait des trucs sexuellement que je ne faisais pas avec ma copine de l'époque. J'avais envie de tester." Il cédera à la tentation. Ils feront l'amour. Comme tous les autres.
Une soirée, une proximité, des circonstances qui favorisent le moment fatidique... Les passages à l'acte se ressemblent à s'y méprendre. Adrien croise son amie en boîte de nuit. Ils dansent très proches. Elle perd ses potes, donc dort chez lui. "Avant de commencer, je lui ai demandé si elle était sûre. On s'est dit qu'on en parlerait à personne. Ce n'était pas top. Je pensais à ma meuf", se souvient-il.
Au réveil, ils sont gênés. Ils en rigolent, se quittent en culpabilisant. Lola est aussi en couple au moment où elle s'apprête à coucher avec son ami. Ils s'embrassaient déjà en cachette depuis quelque temps. Un soir, après leur diplôme, ils font l'amour : "On connaissait chacun le copain et la copine de l'autre. C'était un peu gênant, on savait tous les deux qu'on faisait de la merde."
Mike, Alice et Zachary sont aussi en soirée. À chaque fois, la situation facilite le passage à l'acte. La soeur de l'amie de Mike s'est déjà emparée du seul lit disponible quand ils rentrent. Sur le canapé, ils s'embrassent et s'endorment vite. Le lendemain, ils font comme si de rien n'était. Mais ils se revoient, s'embrassent encore et finissent par coucher ensemble.
À la fin d'une fête, Zachary rentre chez son amie. "Je comprenais carrément que je couchais avec une pote. On avait déjà parlé de sexe, donc je savais ce qu'elle aimait, et inversement". Ils se feront ensuite des câlins "en mode un peu gênés". Seule Alice a réussi à échapper à la gêne. Alors qu'elle a ressenti une attirance pendant la soirée, l'organisation des lits fait qu'elle se retrouve avec lui dans la tente. "Le lendemain, je me suis posé des questions. Mais aucun regret. Au-delà du sexe, c'est une personne que j'aime".
De la gêne, Jean en a ressentie, quand, une après-midi chez les parents de son ami, ce dernier lui déclare sa flamme pendant l'acte sexuel alors qu'il n'a pas les mêmes sentiments. "J'avais compris que je me faisais draguer, mais pas à ce point-là ! Je pars quasiment tout de suite sans en parler."
Pour Charlotte, les circonstances sont rocambolesques. Elle prévoit un plan à trois avec deux de ses meilleurs potes - un mec, une meuf - en rentrant d'une soirée. Le sommeil s'emparant de son amie, elle se retrouve donc à coucher seulement avec le garçon. Plusieurs fois. Avant ce moment fatidique, elle a fait l'amour avec un autre garçon. Qui les rejoindra pour finalement finir par un plan à trois. Le tout dans la même nuit.
"Tout s'est enchaîné très vite. Je réalisais un peu, mais je n'étais pas gêné. Les deux mecs n'ont pas dormi ici. Le lendemain, je me suis senti bizarre. On en a parlé par message. Ce qu'il s'est passé est exceptionnel. Complètement hors du temps".
Entre les attentes qui diffèrent, la culpabilité qui apparaît et les évolutions sentimentales de chacun, il est souvent difficile de gérer l'après. Pas l'avis de Charlotte, au début, quand tout se passe bien. Ils en rigolent, ne recouchent pas ensemble. Jusqu'au jour où l'ami en question se met en couple, sérieusement, sans parler de cette histoire à sa nouvelle copine.
"Il avait peur qu'elle n'accepte pas et de devoir choisir entre nous deux", se rappelle la jeune femme de 28 ans qui a quasiment perdu son ami aujourd'hui. Sans regret : "Ça devait se passer. Le sexe, c'est jamais neutre. Tu as des attentes qui sont très floues après."