En matière de provoc', Calvin Klein n'en est pas à son coup d'essai. Depuis ses débuts, la marque s'appuie sur des campagnes de publicité très osées pour faire parler d'elle: le sexe fait vendre, paraît-il. Mannequins dénudés, positions très suggestives, mineures... La provocation fait partie intégrante de l'ADN de la marque, qui collectionne les scandales comme on accumulerait les bons points. Et sa dernière campagne ne fait pas exception.
Les polémiques autour des campagnes de publicité de Calvin Klein remontent à 1980, quand la jeune Brooke Shields alors âgée de 15 ans pose dénudée en jean très moulant avec en légende cette phrase évocatrice, "Qu'est ce qui se met entre moi et mon jean Calvin Klein ? Rien... " . Les détracteurs crient à la pornographie infantile, et les ventes de jeans grimpent en flèche. Une photo évoquant un plan à trois fait scandale en 1985; en 1992, c'est l'affiche pour le parfum Obsession montrant Kate Moss seins nus alors qu'elle avait seulement 17 ans qui marque les esprits. Et la marque ne s'est pas assagie avec le temps. Pour ne citer que leurs plus gros buzz, en 2010, ils font scandale avec un cliché de Lara Stone qui rappelle désagréablement une scène de viol groupé, comme le souligne le Daily Mail; et pas plus tard que l'année dernière, ils remplacent leurs légendes par des sextos sur les pubs.
La campagne "I ___in #mycalvins", toujours commandée par la nécessité de choquer, avait déjà fait des vagues. Heidi Zak , directrice de la marque de lingerie Third Love , avait déjà lancé une pétition pour qu'un panneau publicitaire de "In #mycalvins" soit retiré à New York. Le problème ? Deux photos de la campagne étaient affichées côte à côte : celle deKlara Kristin -étendue dans une pose lascive qui laisse entrevoir sa culotte- qui proclame : "I seduce in #mycalvins" ("Je séduis dans mes Calvins"), et celle du rappeur Fetty Wap –dont on ne voit que le visage- qui dit : "I make money in #mycalvins" ("Je fais de l'argent dans mes Calvins"). Comme l'explique le Business Insider , Zak avait écrit une lettre au PDG de CK, Steve Shiffman , l'appellant à retirer ce panneau qu'elle jugeait terriblement sexiste : "Il est frappant de voir que près d'un siècle après le droit de vote des femmes, des compagnies comme la vôtre continuent à faire circuler ces stéréotypes, aussi offensants que dépassés : les hommes vont au travail et gagnent de l'argent, tandis que les femmes ne sont rien d'autre que des objets sexuels", écrivait-elle dans ladite missive. Mais un nouveau cliché de Klara Kristin posté sur le Instagram de la marque a poussé la polémique encore plus loin.
La photo Instagram de la jeune actrice danoise légendée "I flash in #mycalvins" ("Je m'exhibe dans mes Calvins") a provoqué la colère des internautes, et pour cause : c'est un "upskirting", une photo prise par-dessous la jupe de la jeune femme. Pour ne rien arranger, bien que la mannequin ait 23 ans, elle en paraît 16. Et beaucoup trouvent cette photo très dérangeante : en effet, on n'est plus seulement dans le cliché osé ou hypersexualisé, mais dans la mise en scène d'un acte de voyeurisme qui s'apparente à du harcèlement sexuel, selon le Washington Post . La photo nous met à la place du voyeur, en présentant un acte pervers et agressif comme étant sexy et glamour. Depuis, les commentaires négatifs pleuvent sur le compte Instagram de la marque : "Quelle honte, jetez tous vos Calvin Klein", dit un utilisateur qui appelle, comme beaucoup d'autres, au boycott de la marque. "Et si un pervers prenait la même photo de votre soeur ou de votre fille ? Ce n'est pas sexy, c'est pathétique", renchérit un autre. "Vous ENCOURAGEZ les gens à agir contre les femmes avec vos pubs. Vos mannequins ont peut-être des gardes du corps, mais ce n'est pas le cas des femmes qui se font agresser de cette manière malheureusement", peut-on encore lire parmi les commentaires.
Certains pourtant persistent à défendre ce cliché accompagné de la légende provocatrice "Take a peep" ("Jetez un coup d'oeil"), en pointant du doigt la volonté de faire polémique qui constitue le coeur de la marque depuis toujours. Craig Lawrence , le président de One.1k Model Management s'est fait l'avocat du diable en confiant à Fox : "Calvin Klein a toujours été une marque qui incite à réfléchir. Brooke Shields était une enfant quand ils lui faisait dire 'Rien ne se glisse entre moi et mes Calvins'. Est-ce que c'était de la pornographie infantile ? Selon moi, non, et ça ne l'est pas plus aujourd'hui".
Mais ce n'est manifestement pas un avis partagé par le National Center on Sexual Exploitation. Ce centre qui lutte contre la pornographie et l'exploitation sexuelle prend la polémique qui entoure le cliché très au sérieux et dénonce une volonté de rendre glamour les actes de voyeurisme et d'agressions sexuelles. L'institut a lancé une pétition pour faire retirer le cliché et a publié un communiqué officiel écrit par sa directrice exécutive, Dawn Hawkins : "L'upskirting est la tendance montante du harcèlement sexuel, où des photos sont prises sous la jupe d'une femme sans qu'elle le sache ou l'autorise. Le message que Calvin Klein envoie est que les expériences traversées par les victimes réelles de ce phénomène ne comptent pas, et qu'un homme peut traiter la femme qui se tient à côté de lui dans le métro comme de la pornographie accessible quand il en a envie".
Il ne faut pas sous-estimer les effets d'une publicité sur notre comportement. Ce sont des images dont on est bombardé et qu'on ingurgite massivement sans forcément s'en rendre compte : elles finissent par modeler notre vision du monde, notre rapport aux autres et à nous-mêmes. On forge notre notion de la norme sociale par rapport à ces images. D'où l'immense danger des publicités sexistes ou faisant la promotion d'actes répréhensibles : les diffuser revient à normaliser ces phénomènes. Et les femmes sont, sans surprise, les grandes perdantes de ce jeu malsain. "La publicité sexiste est une propagande commerciale qui utilise les stéréotypes sexuels, le corps des femmes, la nudité et la sexualité, sinon la culture porno, dans le but de capter l'attention et d'accroître les ventes d'un produit, ou d'un service", rappelle Le Figaro dans son article "Cinquante ans de sexisme publicitaire" . La figure féminine est instrumentalisée à volonté afin de provoquer et de marquer, au mépris de la promotion de la culture du viol que cela fait passer. Après tout, "le sexe fait vendre" , répètent à l'envie les grands publicistes. Et tant pis si ce sont les femmes qui en payent le prix.