Jean-Louis Kiehl : Il s’agit de la deuxième étude que nous réalisons. La première avait eu lieu en 2010, au moment du projet de loi de Christine Lagarde sur le surendettement. Cette grande enquête nous révèle plusieurs choses. D’abord, le problème du surendettement n’est plus seulement celui de catégories défavorisées gérant mal le crédit à la consommation ; il touche la population française de plus en plus globalement dans un contexte de crise. Parmi les catégories fragiles : les propriétaires qui ont souscrit des prêts renouvelables et tombent dans les failles du système. Le crédit immobilier associé à d’autres crédits est en effet de plus en plus un passage possible vers le surendettement. C’est un phénomène qui s’accentue, d’autant plus que les banques ne sont pas soucieuses de savoir si leurs clients sont solvables dans le temps. Par ailleurs les jeunes sont de plus en plus touchés. Les consommateurs de moins de 35 ans sont de grands utilisateurs de découvert bancaire. Or l’étude souligne le rôle destructeur de ce procédé : le découvert est taxé à 15% d’intérêt et dès le moindre centime qui dépasse le plafond autorisé, chaque écriture est facturée 12€. Le sondage montre ainsi que les jeunes ont utilisé, en très grand nombre (75%) un découvert bancaire avant leur surendettement. Autres victimes du surendettement : les séniors. S’ils sont souvent propriétaires de leur domicile, ils sont aussi nombreux à cautionner leurs enfants ou contracter des emprunts pour les aider. Etant donné qu’ils rentrent dans la fourchette du scoring des banques (critères selon lesquels les prêts sont octroyés), ils n’ont en général pas de difficulté à cumuler les prêts. Et on débouche ainsi sur les situations dramatiques.
J-L K : 76% des Français surendettés plébiscitent le registre national des crédits aux particuliers pour lutter contre l’excès de crédits. Cela permettrait en effet de responsabiliser les banques et établissements de crédits, mais également les consommateurs. Cependant les banques font barrage.
On dit que le surendettement est dû à des accidents de la vie, comme la perte d’un emploi, un divorce ou la maladie. Les établissements bancaires refusent ce fichier en prétextant que ces accidents de vie sont imprévisibles et que le surendettement peut toucher tout le monde. Or nous savons que les causes sont souvent conjuguées, et que la première raison du surendettement reste le trop plein de crédits (dans 31% des cas). En France deux banques se partagent 50% du marché des crédits : le Crédit Agricole et la BNP Paribas. A elles deux elles ont une belle visibilité sur la situation financière de leurs clients et il serait aisé pour elles de refuser des crédits supplémentaires à un client en situation fragile. Mais elles ne veulent pas être tenues pour responsables lorsqu’un crédit de trop est contracté. C’est scandaleux, on fait tout peser sur les consommateurs alors que les banques ont de très lourdes responsabilités en matière de surendettement.
J-L K : Lorsque l’on compare la situation française avec celle de nos voisins qui ont opté pour le registre des crédits, on voit que l’adoption de ce fichier a des conséquences positives. Alors qu’en France le montant moyen d’un dossier de surendettement est de 45 000 euros, en Belgique il est de 15 000 euros. En France avec ce type de montant il est déjà trop tard quand le surendettement est reconnu, la maison brûle. Du coup un dossier sur trois fait l’objet d’un nouveau dépôt, car les gens craquent. Et ce n’est pas étonnant : les plans de remboursement qui leur sont proposés leur laissent souvent l’équivalent d’un RMI pour vivre pendant 8 ou 10 ans, ce qui est difficilement supportable. La mise en place d’un fichier permettrait dans la grande majorité des cas d’arrêter la spirale du surendettement à temps. Ce n’est pas une solution au surendettement en tant que tel, mais cela permettrait de limiter les dégâts. L’idée est d’arrêter le cercle vicieux plus tôt. En attendant, nous accompagnons, sensibilisons au crédit, budgétons et assurons la médiation dans les 115 points d’accueil de Crésus. Près de 20% des gens qui viennent nous voir sont envoyés par leur médecin, nous sommes leur dernier recours.
Jean-Louis Kiehl a conseillé Philippe Lioret et Vincent Lindon pour le tournage du film « Toutes nos envies », tiré du roman d’Emmanuel Carrère « D'autres vies que la mienne » et qui relate l’histoire de deux juges qui luttent contre le surendettement.
Voir la bande annonce de « Toutes nos envies »
Crédit photo : Stockbyte
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