Sa frimousse a traversé les époques, ses aventures pastel ont imprégné l'imaginaire de millions d'enfants jusqu'à ces détournements 2.0 qui surgissent régulièrement sur les Internets.
Lorsque le jeune Marcel Marlier, alors âgé de 21 ans, saisit pour la première fois ses gouaches, ses encres et crayons de couleur en 1954 pour croquer Martine, il ne s'attendait probablement pas à un tel succès: 100 millions d'exemplaires vendus dans le monde, traduits dans une trentaine de langues, et 65 ans d'histoires qui fleurent bon le vintage.
Alors que 27 ravissantes illustrations originales de Marcel Marlier seront exposées à Paris à partir de ce 24 avril et mises en vente le 27 avril à la maison internationale de vente aux enchères Artcurial, nous avons interrogé François Marlier, fils de l'illustrateur de Martine (disparu en 2011), sur la longévité de la petite héroïne devenue cultissime.
Entre nostalgie et admiration, il revient sur le travail d'orfèvre de son père dont le coup de pinceau a su capturer les époques à travers le regard curieux et vif de la fillette.
François Marlier : C'est tout à fait exceptionnel, en effet. C'est plus de 100 millions d'exemplaires vendus dans le monde. 120 millions vendus dans 35 langues différentes. L'année dernière, c'était encore 2 millions d'exemplaires vendus en Chine. C'est unique dans le monde de l'édition jeunesse.
C'est d'autant plus étonnant qu'il n'y a jamais eu de publicité. Pourquoi ? Mon père a toujours été écologiste. Dans Martine, il y a de la nature, de la beauté, des messages intemporels, de la générosité, de la poésie, des valeurs qui font que les petites filles du monde entier s'y retrouvent. On reçoit encore des courriers de jeunes lectrices qui récupèrent les Martine écornés et jaunis de leur grand-mère et qui sont toujours aussi admiratives.
Il y a 25 ans, une petite fille qui habitait à Beyrouth, au Liban, nous avait écrit. Elle était sous les bombes, elle s'était réfugiée sous la table de la cuisine en attendant que le toit lui tombe sur la tête. Et elle nous disait : "La seule chose qui puisse encore me faire rêver, c'est d'ouvrir mes Martine". Cette petite fille a grandi, elle est même venue nous rendre visite l'année dernière. C'était très émouvant.
F.M. : C'est très facile d'extraire une page d'un album et de critiquer. Nous écrivions les textes en famille, mon frère, mes parents et moi. On avait 18 pages, le dessin était essentiel donc on avait très peu de lignes. Il faut une petite histoire passionnante, un vocabulaire évolué sans être trop complexe.
Alors oui, quand on sort de son contexte et qu'on regarde page par page, il peut y avoir des détails "pro-garçon", "pro-filles". Mais dans Martine fait la cuisine par exemple, elle n'est pas du tout "femme au foyer" : la page suivante, on voit son petit frère faire la vaisselle.
F.M. : Non, pas du tout ! On suivait la mode de l'époque. C'était les costumes des petites filles du village, ça a toujours reflété l'air du temps. Mais si on prend dans les 1200 dessins, il y en aura peut-être trois ou quatre fois où l'on voit la culotte de Martine. C'était l'époque des mini-jupes et ce n'était pas choquant.
Puis la mode enfantine évolué : c'était d'un coup l'époque des pantalons, des jupes et des robes plus longues. Mon père étudiait chaque pli de vêtements à la loupe. C'est comme les oeuvres d'art, on analyse après coup et on imagine tout un tas de choses.
F.M. : C'est chouette. Il y en a qui sont drôles, d'autres cruelles. C'est comme Tintin, c'est devenu un mythe dans le monde entier. Il faut juste éviter les débordements et les gens qui font ça à mauvais escient.
F.M. : Je le crois. Parce que la qualité des dessins, la composition restent capitales. L'esprit peut vagabonder car il y a force détails et pendant un quart d'heure, on peut regarder le même dessin, une fleur, une branche d'arbre, un petit oiseau... Il y a tellement de valeurs intemporelles. Et c'est ce qui manque aussi à l'ère de Trump où on est en train de tout détruire.
La seule façon de sauver la planète et nous n'avons que quelques années devant nous : il faut aller vers des valeurs de proximité, où les gens ont envie de partager, se parlent, créent. On peut se créer du bonheur sans nécessairement acheter une nouvelle télévision tous les 3 mois. Un bonheur logique, durable et naturel. Et Martine, c'est ça !
Les enfants subissent de plus en plus, on les bombarde d'informations et ils ont peu d'espace pour créer et inventer. Donnez-leur deux petits bouts de bois et laissez-les inventer et rêver... Ce rêve est essentiel pour le développement du cerveau. Ce qui fait le succès de Martine depuis toujours : les enfants peuvent encore imaginer, se mettre dans la peau d'un personnage. Je pense qu'elle a encore du temps devant elle.
D'ailleurs, un long-métrage Martine sera tourné bientôt par Philippe Muyl (Le Papillon) avec François Berléand et Chantal Lauby. Ce sera une Martine de son époque sur un sujet écologique, pas une Martine "vintage". Je suis curieux de voir quelles seront les réactions des enfants et des parents.
Infos pratiques :
Artcurial - 7, rond-point des Champs-Elysées 75008 Paris
Vente aux enchères Martine : le samedi 27 avril 2019 à 14h
Exposition : du 24 au 26 avril 2019