Didier Lucas : Les statuts des fonds, suivant qu’ils sont publics ou privés et selon qu’ils disposent d’actifs sous gestion plus ou moins importants, sont extrêmement variés. Le débat porte moins sur ces points que sur la nature exacte des investissements qui seront réalisés ainsi que sur les objectifs de rentabilité des projets qui seront financés. Mais nul n’ignore la grande entreprise d’influence initiée par l’Émirat depuis plusieurs années. La stratégie de Doha s’est développée autour de la recherche de notoriété, puis de respectabilité. Parce que le Qatar est devenu légitime sur la scène internationale, et parce qu’il dispose de formidables ressources financières, l’Émirat a acquis les attributs de la puissance. Or notre époque postule que le maintien ou le développement de ladite puissance est conditionné par le renforcement de l’influence géopolitique et géoéconomique.
Ce fonds s’inscrit donc dans un vaste projet de diplomatie politique, économique et culturelle. Au final, il exercera véritablement des investissements dans des banlieues et des zones rurales. Il faut surtout retenir que les motivations de rentabilité ne sont pas prioritaires. En s’adressant directement aux entrepreneurs de banlieues, les Qataris pensent que ces jeunes dirigeants épouseront les thèses et les valeurs de l’Émirat.
D. L. : Le débat, voire la polémique sur la naissance de ce fonds, ne doit pas occulter que ce projet est insignifiant vu de Doha sur le plan économique. Les rachats récents de palaces hexagonaux, les prises de participation répétées dans le capital d’entreprise du CAC 40 et l’acquisition à fonds perdus du Paris Saint-Germain se chiffrent à plusieurs milliards d’euros au total. L’impact économique de ce fonds sur l’économie des banlieues ou des zones rurales paupérisées est fondamentalement nul. En revanche, les dimensions politiques extrêmement fortes de ce projet induisent que le « soft power » qatari n’a pas de limite et qu’il est désormais prêt à s’immiscer dans des périmètres jadis réservés à un État.
La polémique concerne dès lors moins les motivations cachées du Qatar que la reconnaissance explicite, bien qu’indirecte, de l’incapacité de la France à résoudre le problème de ses banlieues. Accepter l’argent des Qataris, c’est acter que notre pays a perdu de sa superbe et qu’il tolère l’érosion de sa souveraineté. Il est surtout question de symbole. Ajoutons que la relation spéciale entre Paris et Doha teintée d’énormément de Realpolitik interdit la moindre brouille diplomatique. Nous sommes rentrés dans une ère où c’est désormais le Qatar qui a l’initiative stratégique. C’est surtout ce point crucial qui est à l’origine de ladite polémique.
Non cela ne change strictement rien à la problématique de départ. Ajouter les zones rurales paupérisées dans le périmètre d’intervention du fonds en question est d’abord un geste politique, c’est un signal pour démontrer, si besoin est que l’État français conserve la haute main et que le gouvernement est le décideur final. En outre, cela permet de satisfaire par anticipation les attentes des collectivités concernées et de respecter la feuille de route gouvernementale.
Le prochain numéro de la revue Géoéconomie sera consacré au Qatar.
Le Qatar au secours des banlieues françaises
Al-Jazeera : une chaîne d’info en français lancée avant fin 2012
David Beckham au PSG : un accord conclu à « 99 % »