"On est sans arrêt contre lui. Ce ne serait pas Roman Polanski, on lui ficherait la paix". Ces mots de Nadine Trintignant ne pouvaient pas tomber plus mal. Quelques jours à peine après la mise en ligne d'une enquête accablante du Parisien relatant une affaire de viol dont Roman Polanski aurait été l'auteur en 1975 (l'agression sexuelle de la photographe Valentine Monnier, alors âgée de 18 ans), l'écrivaine, invitée sur le plateau de BFM TV, s'est attardée (très) laborieusement sur un "acharnement" dont le cinéaste serait... la victime.
Drôle de manière d'inverser les rôles. Mais là n'est pas l'aspect le plus douteux de ce discours, loin s'en faut. Interrogée au sujet des nombreuses accusations de viol dont Roman Polanski fait l'objet, la plupart du temps sur des filles mineures, Nadine Trintignant enfonce le clou: "J'ai vu tellement d'accusations à tort contre d'autres. Quand on ne voit pas les choses, j'aurais plutôt tendance à le croire lui qu'une femme qui a mis 44 ans à réfléchir pour le dénoncer".
Pour la réalisatrice, la parole de Valentine Monnier n'a aucune valeur : celle-ci n'agirait que par "jalousie" envers quelqu'un "qui a réussi". Et les piques qu'elle décoche pour décrédibiliser cette dernière nous immerge au sein d'un imaginaire bien spécifique : celui du "victim blaming".
Ces fantasmes inhérents aux agressions sexuelles, Nadine Trintignant en fait l'inventaire. Au premier degré. D'abord, elle suggère qu'elle ne "croit que ce qu'elle voit" en disant "Quand je ne vois pas quelque chose...". Ensuite, elle accuse la photographe d'avoir menti. Et enfin, pour mettre en doute les mots de Valentine Monnier, elle sort de son chapeau l'argument du "pourquoi avoir attendu tant de temps pour accuser ?", imparable élément de celles et ceux qui tendent à faire porter la culpabilité sur la victime. Ne manquent en fin de compte que quelques remarques trop lues de ci de là (comme "elle est opportuniste" ou "elle veut de l'argent / se faire connaître") et le palmarès serait complet. Mais ce n'est pas tout.
Face aux caméras de BFM-TV, l'autrice tente encore un audacieux "Roman Polanski a une femme magnifique, pourquoi il irait voir ailleurs ?", que n'aurait pas renié le plus misogyne des trolls. En se référant à la comédienne Emmanuelle Seigner, Nadine Trintignant assène une idée aussi absurde que banalisée : les femmes "moches" ou "moins belles" n'intéresseraient pas les agresseurs sexuels. Une phrase qui rappelle la "réflexion" tout en nuances du politicien britannique et ancien membre du Parti libéral démocrate Philip Drury. Réagissant aux propos d'une jeune femme l'ayant accusé de viol, le politicien avait rétorqué : "elle est trop moche pour être violée".
On pourrait se contenter d'un "no comment" affligé si les déclarations de Nadine Trintignant n'étaient pas si désinvoltes. Sur Twitter, elles ont suscité la colère des internautes. "Polanski a violé des gamines de 9, 10, 12 ou 13 ans mais selon Nadine Trintignant c'est lui la "victime" ?", s'interroge une voix anonyme. "Les propos de Nadine Trintignant me laissent vraiment sur le cul donc un mec "talentueux" peux tout se permettre en toute impunité ?", se demande une autre. L'indignation, l'on s'en doute, émane également de cette douloureuse contradiction : comment la mère de Marie Trintignant, assassinée en 2003 par Bertrand Cantat, peut-elle défendre le cas de Roman Polanski, dont beaucoup, à l'occasion de la sortie en salles de J'accuse, rappellent l'impunité ?
Autrement dit, c'est la propension de Nadine Trintignant à vouloir "séparer l'homme de l'artiste", une certitude bien connue, qui a de quoi décontenancer aujourd'hui. Et c'est un doux euphémisme. A l'heure de la "cancel culture", cette séparation de l'homme et de l'artiste est d'ailleurs de plus en plus remise en question, si ce n'est bouleversée. De quoi rendre plus incongrus encore les mots de l'écrivaine...