Notre société regorge de stéréotypes de genre qui s'immiscent partout, des manuels scolaires aux catalogues de publicité, en passant par les salons de coiffure. Ils sont parfois si discrets, si insidieux, qu'on ne les remarque même plus. On appelle cela le "sexisme ordinaire". Et l'alcool n'échappe pas à la règle.
Avez-vous déjà remarqué que souvent, quand un homme et une femme se rendent au restaurant, on propose le plus clair du temps d'emblée à l'homme de goûter le vin ? Comme si seul un homme était capable de repérer une bouteille bouchonnée ou de déceler les subtiles nuances d'un vin complexe.
Et puisqu'on parle de vin... Si vous vous intéressez à la typologie des crus que vous consommez, vous avez sans doute remarqué que de plus en plus de producteurs viticoles fournissent des informations sur leur produit. Et souvent, il n'est pas rare de tomber sur des descriptions type : "un vin d'homme, tanique et robuste" ou "un vin féminin aux arômes délicats". Parce que, c'est bien connu, tous les hommes sont des grosses brutes et toutes les femmes sont fragiles !
La sexualisation d'un vin est d'ailleurs tellement ancrée, que les termes "vin masculin" et "vin féminin" sont répertoriés par le site le Dico du Vin, avec les définitions suivantes : "On définit un vin masculin comme puissant, charpenté, corsé, un vin qui a plus de corps, plus de tanins. "En opposition, un vin féminin est plutôt rond, souple, plus subtil, plus élégant, plus facile à boire." Édifiant, n'est-ce pas ?
Naturellement, ces stéréotypes de genre s'étendent jusque dans nos verres. Un homme boit de la bière, du pastis, du whisky et du bon rouge qui tache. Les femmes, elles, pétillent plus à la vue d'une coupe de champagne rosé ou d'un mojito framboise. Bref, des "alcools de fille", quoi.
Récemment, j'étais en soirée avec une copine. On buvait toutes les deux de la bière (au goulot qui plus est). Là, un mec vient nous voir et nous demande, d'un air candide : "Ah, donc en fait, les filles aussi boivent de la bière ?". Pas le moindre second degré dans sa voix. "Oui, et ça m'arrive même de regarder le foot", répond mon amie du tac-au-tac. Alors là, il est impressionné, il n'en revient pas. Il semble vraiment convaincu que les femmes qui boivent de la bière sont des espèces rares. Eh oui, on en est encore là.
Mais le cliché n'épargne pas non plus les hommes : combien d'entre eux commandent une Guinness à contrecoeur alors qu'ils rêvent secrètement de s'envoyer un bon Sex on the Beach, dans le seul but de ne pas mettre leur virilité en péril ?
Ces clichés sont si prégnants dans notre société qu'Emma Pierson, chercheuse à l'université d'Oxford et auteure du blog Obession with regression, s'y est intéressée de près. Sur Twitter, elle a passé au peigne fin tous les messages des utilisateurs portant sur le sujet estampillés du hashtag #drunk ou #drunktweet : pas loin d'un million entre juillet 2014 et juin 2015, précise-t-elle au magazine Quartz.
Son but était de vérifier s'il existait bel et bien des alcools genrés. Elle n'a pas été franchement surprise en constatant que les mots-dièses #bière et #whisky étaient le plus souvent associés aux hommes, tandis que la mention #cocktails correspondait davantage aux femmes.
Mais au-delà de ces clichés qui ont la vie dure, la chercheuse estime que les moeurs sont petit à petit en train de changer. Sur Twitter, de plus en plus d'utilisatrices sont associées au mot "Guinness", remarque-t-elle.
Aujourd'hui, plus de 65% des achats de vin en France sont effectués par des femmes, rappelle par ailleurs Le Figaro Vin. La profession viticole elle aussi se féminise de plus en plus.
Allez, encore un effort et d'ici quelques années, on arrêtera peut-être enfin d'attribuer des notions de genre aux boissons alcoolisées.