Culture
L'interview girl power de Canine
Publié le 25 février 2019 à 18:33
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Le mystérieux collectif Canine dévoile son premier et excellent album, "Dune". Un projet porté par Magali Cotta qui nous parle de sa vision et de ses inspirations diablement féministes. Interview girl power mordante.
Interview vidéo de Canine
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Le plan initial était de rester cachée. Canine a failli ne jamais avoir de visage. Juste cette voix mutante, mouvante, androgyne et troublante. Et finalement, Magali Cotta a décidé de sortir de l'ombre, de prendre la lumière, fut-elle en clair-obscur.


Après un passage peu épanouissant au Conservatoire et après avoir goûté (sans joie) à la vie de groupe, la Niçoise a méticuleusement bâti son objet artistique pour enfin s'ébrouer en toute liberté, déployant son univers singulier, fait de théâtralité et de trouvailles sonores. Autour d'elle, elle a fédéré un collectif de choristes et de musiciennes pour façonner son Dune, premier album envoûtant et immersif, aux orchestrations empruntées au classique et à la soul, nappé d'électro aérien, hérissé de beats entêtants.

Nous avons rencontré Magali, la chef de cette meute badass, pour parler de féminisme, de sororité, de rôles-modèles.

Terrafemina : Pourquoi ce nom, "Canine" ?

Magali Cotta : Pour moi, c'était vraiment un mot important car je ne voulais pas que le projet porte le nom qu'il y a écrit sur mon passeport, mais que ce soit plutôt comme un blaze qui puisse représenter un collectif. Dans "Canine", il y a l'animalité évidemment, le côté féminin, il y a aussi la dent qui peut être acérée malgré la sonorité du mot qui est très douce.

Pourquoi as-tu finalement choisi de montrer ton visage ?

MC : A la base, je voulais qu'on parle du projet comme d'un projet qui défend des valeurs plutôt que d'être une personne. Quand on met un masque, ça permet de cacher des choses pour en dévoiler d'autres. Et au bout d'un moment, j'ai senti que j'arrivais un peu à la limite et qu'au lieu d'aider le projet, c'est quelque chose qui commençait à m'enfermer. Je me suis dit que l'idéal était plutôt d'alterner entre le fait d'être parfois masquée et choisir de ne pas l'être. Et d'avoir cette liberté de passer d'une chose à l'autre.

 

Quelles sont les valeurs défendues par Canine ?

MC : Le combat, la liberté, essayer d'être le plus juste possible. Il y a aussi la notion du collectif. Sur scène, on est assez nombreuses. Et on défend les valeurs féministes, proches de la cause animale.

Magali du groupe Canine © Jessica Attia
Tu joues beaucoup sur l'androgynie de ta voix, que tu modèles tout au long de l'album et sur scène.

MC : Oui, quand j'ai voulu créer cette voix, d'un point de vue musical, je me suis dit que c'était chouette de pouvoir travailler sur des synthétiseurs, avec des filtres, des effets, moi qui viens de la musique électronique. Et de pouvoir aussi penser la voix comme une matière sonore.

L'idée, c'était pour moi de pouvoir créer une voix qui n'ait ni âge, ni genre. Qui ne soit ni masculine, ni féminine, qui ne soit ni vieille, ni jeune. Qui soit juste une entité émotionnelle. Et j'ai eu l'impression de rencontrer un être qui vit en moi, qui n'est peut-être pas une femme, qui est peut-être un homme, je ne sais pas. Mais qui n'est pas moi au quotidien.

Tu ne t'entoures que de femmes choristes et de musiciennes sur scène.

MC : Je ne me suis pas dit : "Il faut qu'il n'y ait que des femmes sur scène". Mais comme je chante toutes les voix dans l'album, il était évident qu'au niveau du live, pour les choeurs, soient interprétés par des femmes. Je suis allée chercher des chanteuses et je me suis rendue compte qu'il était compliqué de trouver des instrumentistes femmes.

J'en avais un peu marre de voir toujours ce schéma avec les chanteuses devant qui représentent la douceur, la beauté, etc. Et tous les postes un peu "virils" occupés par des hommes comme batteur, contrebassiste... J'ai donc décidé de chercher des femmes. Ça n'a pas été évident de trouver des batteuses ou contrebassistes professionnelles sur Paris. Mais je me suis dit que pour la gamine de 12 ans qui un jour tombera sur Canine, ça lui donnera peut-être envie d'être batteuse ou contrebassiste.

C'est dur d'être une femme dans le milieu de la musique ?

MC : Ce n'est pas évident. Cela peut permettre d'avoir des portes qui s'ouvrent parce qu'on se bat pour un projet, cela peut être étonnant d'avoir des femmes à la tête de ces projets. Après, cela peut être très compliqué quand on tombe sur des loges de concert à 2h du matin où il n'y a que des hommes. C'est pour ça que maintenant, quand j'arrive avec toute ma tribu, c'est super parce que je suis respectée ! (rires)

 

As-tu déjà eu à faire à du harcèlement ?

M : Non, j'ai eu de la chance (et c'est terrible de dire ça). Mais j'ai eu des projets avant où j'étais la chanteuse entourée de musiciens où il y a eu des ambiances de loges très très désagréables. Et en plus, j'étais beaucoup plus jeune, je n'avais pas le répondant et j'ai subi. C'était vraiment pénible.

Te considères-tu féministe ?

MC : Forcément, si c'est pour travailler pour l'égalité hommes-femmes à tous les niveaux, oui, je suis évidemment féministe, oui.

Les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans ta vie ?

MC : La première, ce serait Rosa Parks qui est une femme noire des Etats-Unis dans les années 50 qui a refusé de laisser sa place à un blanc, dans un bus.

Ensuite, je dirais que la deuxième femme qui m'a inspirée, je dirais que c'est Björk. Je pense que d'un point de vue musical, c'est une femme qui est extraordinaire, qui a changé aussi le cours de la pop musique finalement dans les années 90.

Et la troisième femme, je dirais que c'est ma maman puisque c'est quelqu'un que je vois au quotidien, qui a une grande grande bonté de coeur, qui est en plus très brillante, très intelligente mais qui est toujours toujours dans l'altruisme.

Une héroïne de fiction que tu adorais enfant ?

MC : Je parlerais de Chihiro dans le film Le voyage de Chihiro. Elle vit des aventures extraordinaires dans un monde complètement imaginaire. Parfois, elle craque mais en tout cas, elle est sensible et elle se bat.

L'héroïne de série dont tu es fan ?


MC : L'héroïne de Homeland, Carrie . En fait, je trouvais ça super intéressant de montrer justement un personnage féminin avec beaucoup beaucoup de facettes différentes qui peut parfois complètement craquer, péter un plomb et en même temps être géniale.

Le droit des femmes que tu attends toujours ?


MC : Ce serait vraiment les salaires pour le coup. La vraie question en fait, c'est pourquoi on n'y est toujours pas ?

Quel est ton mantra pour avancer ?


MC : C'est d'essayer d'être le plus possible dans le présent.

Une chanson "girl power" qui te booste ?

MC : Ce serait Girls Just Want To Have Fun de Cindy Lauper. Evidemment, au niveau de la musicalité, il y a quelque chose de très gai, très libérateur mais il y aussi finalement quand on écoute vraiment les paroles, une certaine gravité. En fait, il y a quand même un truc qui peut résonner de façon différente que juste un morceau de fête.

Que reste-t-il à faire pour plus de visibilité des femmes dans la musique ?


MC : Je ne suis pas particulièrement pour la parité, parce que ça me donne l'impression de faire la manche ! Je pense que pour l'égalité des femmes dans la musique, c'est aux femmes de prendre la place, de tout dégommer et de se battre. J'ai l'impression qu'il n'y a finalement que comme ça que les places seront vraiment féminines. Mais c'est peut-être une question de fierté aussi : je n'ai pas envie de demander la permission aux hommes !

Qu'est-ce qui te révolte encore aujourd'hui en tant que femme ?

MC : Je pense qu'un sexisme un peu toléré parce que dans un milieu intellectuel donc avec des gens qui sont censés avoir fait quelques études et avoir lu quelques livres puisque souvent le sexisme, il y a quand même un truc qui vient de la bêtise. Parfois, il vient de la peur et je pense que les hommes qui ont peur des femmes sont en fait beaucoup plus nocifs que ceux qui sont juste bêtes.

Cover Dune de Canine

Canine, Album "Dune"

Disponible depuis le 22 février 2019

Mots clés
Culture Girl power interview vidéo feminisme sororité News essentielles musique
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