Culture
Jeanne Morel, danseuse en apesanteur et milieux extrêmes
Publié le 21 août 2020 à 10:33
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Jeanne Morel est danseuse de l'extrême. Son travail avec l'artiste digital Paul Marlier l'a conduite à collaborer avec le Centre national d'études spatiales (CNES). Rencontre avec une "artiste-chercheuse" aussi passionnée que lyrique.
La danseuse de l'extrême Jeanne Morel La danseuse de l'extrême Jeanne Morel© DR
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Jeanne Morel gravite, grimpe, plonge, virevolte. Que ce soit sur les volcans, sous l'eau, en haute-montagne ou en apesanteur, Jeanne danse. Mais toujours selon ses propres codes, sans contrainte, infiniment libre. Car si cette jeune artiste de 29 ans aime se frotter aux milieux extrêmes et "confinés", elle abhorre l'univers étriqué des écoles qui l'ont formée, sans jamais parvenir à la formater.


Son parcours est hybride : danse classique dès 7 ans, twistée par une école de cirque. Rien de plus normal pour une gamine originaire de Franche-Comté, le berceau du célèbre Cirque Plume. "Ce qui était formidable, c'est qu'on avait la possibilité de s'exprimer, de trouver notre création à nous : j'ai fait du trapèze, du fil, du théâtre, du clown, du violon... On pouvait être libre au sein du cirque."


Son rêve de petite fille n'était pas d'enfiler un tutu rose poudré et devenir petit rat de l'Opéra. Jeanne s'imaginait plutôt handipodiste, "jongleuse des pieds". Mais pas que. Elle désirait créer, inventer. Après une prépa de Lettres, la jeune femme enchaîne les formations : la voici au Conservatoire de Lyon, puis l'Institut national du théâtre et de la danse en Espagne auquel elle ajoute un diplôme du conservatoire de San Francisco. Un solide bagage pour celle qui voulait avant tout "utiliser à la fois sa tête et son corps". Cette rebelle curieuse, qui avait jeté ses pointes en plein cours de danse ("On n'a pas le droit de maltraiter des jeunes filles en pleine adolescence, on n'a pas le droit de leur parler comme ça"), s'émancipe. Elle écume les musées, enrichit son expression corporelle au contact des arts plastiques et numériques. Et au fil de ses recherches, la performeuse parvient à tisser un art unique en compagnie de son conjoint et complice, l'architecte et artiste digital Paul Marlier.

Jeanne Morel et Paul Marlier, performance sous l'eau © DR

"On travaille ensemble sur les données du corps qui vont donner des oeuvres. Je porte des capteurs et Paul récolte mes données biométriques comme les battements de coeur, le taux d'oxygène dans mon sang, les EEG de ma captation cérébrale et il en fait des oeuvres numériques."

La spécialité de ce couple d'artistes-chercheurs atypiques ? Se confronter aux milieux extrêmes et étudier les effets des éléments sur l'organisme de la danseuse. Jeanne Morel repousse les limites, plus haut, plus beau. "Je suis quelqu'un d'assez timide à la base et c'est sans doute pour cela que j'aime autant danser dans les grands espaces où il n'y a personne. La force de la Nature, la beauté de la Terre m'émeuvent. Y danser, c'est être un peu en communion avec elle."

Danse avec les astronautes

Ce travail hybride, entremêlant art et sciences, n'a pas tardé pas à attirer l'attention du Centre national d'études spatiales (CNES). "Ils cherchaient un.e artiste à envoyer dans l'espace en apesanteur. Le domaine spatial se demandait comment ouvrir et sensibiliser à ce monde-là. Le lien entre art et espace est d'ailleurs présent dans le travail photographique de Thomas Pesquet. Et ils nous ont choisis pour cette collaboration."

Le couple commence à travailler avec des astronautes comme Thomas Pesquet et Jean-François Clervoy, le parrain de leur projet. Et Jeanne Morel débute ses chorégraphies en apesanteur lors de vols paraboliques à bord de l'Airbus A 310 ZEROG. Une expérience inouïe.

"On se prépare en se disant que ça va ressembler à l'apnée, mais pas du tout. Car l'eau a un poids. Tout à coup, on est dépossédé de ce qui nous semblait immuable, de notre poids. Le fait de ne plus peser peut être une source d'angoisse car c'est ce qui nous rattache à la Terre. Mais une fois qu'on accepte ce nouvel état de corps on vit une liberté totale. On est plus léger, plus gracieux : tout est à reconstruire. J'ai laissé tomber la gravité, celle de mon corps et celle de certains épisodes de la vie à ce moment-là."

L'entreprise Art In Space consiste à allier art science et espace depuis maintenant 4 ans. De cette collaboration inédite découlent un échange d'expériences et un enrichissement mutuel. "J'ai appris énormément sur ma place sur Terre, dans l'univers. Ils m'ont aidé à ouvrir ma conscience écologique", explique la performeuse. "Paul et moi avons capté les données biométriques. Un corps entraîné par la danse et le cirque permet une approche singulière et pertinente de la micro-gravité. Les acteurs du domaine spatial sont intéressés par l'adaptabilité de mon corps, par son apprentissage rapide d'un nouvel espace, d'un nouvel état."

Aujourd'hui, Jeanne rêve d'aller encore plus loin. Pour son prochain défi chorégraphique, elle plongera sous l'océan. L'espace ? Elle y songe, des étoiles dans les yeux. "Mais le rêve d'espace devrait peut-être rester un fantasme, un rêve, un autre monde."

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