Culture
L'interview girl power de Doria Tillier
Publié le 25 juin 2019 à 17:50
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Dans l'excellente comédie "Yves" de Benoît Forgeard (en salles ce 26 juin), le coeur de Doria Tillier balance entre un loser attachant et un... frigo futé. Dans la vraie vie, la comédienne aime les défis et déteste la "bien-pensance". Nous l'avons rencontrée.
Doria Tillier au festival de Cannes en mai 2019 Doria Tillier au festival de Cannes en mai 2019© Getty Images
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Peut-on tomber amoureuse d'un frigo ? A cette question a priori farfelue, le réalisateur Benoît Forgeard offre la plus audacieuse des pistes avec Yves. Dans cette fable décalée et poétique qui voit le train-train d'un rappeur raté (excellent William Lebghil) bouleversé par l'irruption d'un frigo "domestique", le réalisateur questionne notre rapport à l'intelligence artificielle et à la robotisation galopante de la société. Car derrière l'apparente absurdité de Yves affleure ce "et si" d'une acuité troublante. Ce drôle d'objet filmique, à la fois intelligent, populaire et drolatique, entremêle le moelleux d'une comédie romantique à des réflexions qui aiguillonnent notre champ des possibles. Et on a adoré.

Parmi les membres du casting de ce Yves bien barré, Doria Tillier, qui joue ici l'employée chargée de la supervision de l'étrange réfrigérateur. Rencontre avec une comédienne intrépide, qui nous livre ses réflexions sur l'ère post-#MeToo et ses coups de gueule.

Terrafemina : Pourrais-tu tomber amoureuse d'une simple intelligence ou d'une voix ?

Doria Tillier : C'est la question que pose le film. Je n'ai pas la réponse, mais c'est une question qui m'intéresse. Personnellement, j'aurais tendance à dire oui parce que c'est souvent ce qui me séduit le plus, ce sont les discussions plutôt qu'un physique. Mais en même temps, je ne suis jamais tombée amoureuse de quelqu'un que je n'avais pas vu. Ni de quelqu'un que je trouvais extrêmement laid. Et la question qui m'intéresse aussi dans le film, c'est la part d'intelligence dans la personnalité de quelqu'un : est-ce que mon intelligence fait 80% de ce que je suis, 30% ? Est-ce qu'elle détermine qui je suis et à quel point ?


L'usage de la technologie dans le domaine amoureux, tu as déjà testé ?

D.T. : Je ne suis pas contre les sites de rencontres, même si je n'y suis jamais allée. J'en parle avec des copines donc je connais un peu, je sais comment ça marche. Et sur le papier, je trouve ça très cool et ça marche parfois. Mais je n'ai pas l'impression que ce soit top. Certaines copines avaient des échanges très chouettes et puis finalement, le type ne leur correspondait pas autant que l'écrit le laissait supposer.

Tu as pris très au sérieux les scènes d'amour avec le frigo. Qu'est-ce qui t'a touchée à ce point ?


D.T. : C'était une évidence. Ce qui me touche, c'est l'histoire du film, que je ne trouve pas particulièrement drôle, même si certaines scènes le sont. L'histoire d'amour avec l'intelligence artificielle, je trouve ça touchant, tout comme j'avais été touchée par le film Her de Spike Jonze. Je ne dis pas que cela pourrait arriver parce qu'il faudrait qu'une intelligence artificielle extrêmement développée et on en est encore très loin. Mais j'y crois totalement ! Elle est compliquée, cette histoire d'amour. Tomber amoureux de quelqu'un qui n'a pas de corps... C'est problématique. Et ce n'était pas compliqué d'être émue.

Affiche du film "Yves" © Ecce Film
L'univers de Benoît Forgeard est très décalé. Est-ce un cinéma qui t'est familier ?

D.T. : Ce qui m'a poussé à accepter le rôle, c'était le scénario, pas l'univers de Benoît, même si c'était amusant de découvrir ça. Est-ce que je me trouve "classique" ? Non, car je ne me reconnais pas dans la plupart des gens. Mais je ne crois pas être "décalée". Dans mes goûts cinématographiques par exemple, les films que j'aime sont plutôt académiques et grand public. Je ne vais pas voir de films ultra-indépendants ou le cinéma de genre. J'adore Les évadés, Sur la route de Madison et Le cercle des poètes disparus et Titanic.

Comment as-tu vécu le raz-de-marée #MeToo ? As-tu l'impression que les choses sont en train d'évoluer au cinéma comme à la télé ?

D.T. : J'ai vécu tout cela d'un point de vue assez extérieur, je ne me sentais pas concernée personnellement. J'étais plus observatrice que victime. Je n'ai pas eu le sentiment d'être victime de sexisme et je n'ai jamais consciemment vécu les choses d'un point de vue de femme, car je ne me suis jamais sentie "femme". Mais c'est bien d'en parler.

Il y a des choses plus pernicieuses, mais qui mettront des années à changer. Il doit forcément il y avoir des changements pour les filles qui ont subi des choses. Mais moi, à mon échelle, aucun changement.

Te considères-tu féministe ?

D.T. : Oui, si on définit le féminisme comme l'égalité entre les femmes-hommes, il faudrait être drôlement tordu·e, culotté·e et vouloir mettre fin à sa carrière pour dire qu'on ne l'est pas.


Pourtant, beaucoup d'actrices françaises peinent encore à s'emparer de ce mot...

D.T. : Oui, mais c'est parce qu'elles n'ont pas la même définition du féminisme que celle que je viens de donner. Et peut-être que ces filles-là veulent se désolidariser d'un mouvement qu'elles ont trouvé peut-être trop extrême par moment ?

Julia Roberts dans Pretty Woman © Buena Vista Pictures
Les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans ta vie ?

D.T. : J'ai été inspirée par des humoristes et des comiques, comme Valérie Lemercier. Mais j'ai plein de références, comme Cate Blanchett que j'adore sans être "fan". Et souvent des gens qui assument vraiment ce qu'ils pensent, qui ont une pensée propre. J'aime bien les gens qui ne disent pas ce qu'on attend d'eux.

L'héroïne de fiction adorais-tu quand tu étais petite ?

D.T. : Vivian, le personnage de Julia Roberts dans Pretty Woman. Mes parents l'avaient enregistré et j'avais la cassette VHS. Et évidemment à l'époque, tu n'analyses pas vraiment... Je la trouvais juste super belle et cool. J'avais compris qu'elle était prostituée, que c'était un truc un peu interdit. Et encore aujourd'hui, je trouve que cette actrice a quelque chose d'extrêmement solaire.

L'héroïne de série dont tu es fan ?

D.T. : J'aime beaucoup Julia-Louis Dreyfus dans son personnage de vice-présidente dans la série Veep. Elle a été récompensée 6 fois pour 6 saisons.

L'avancée des droits des femmes que tu attends toujours ?

D.T. : Je ne connais pas assez les lois à travers le monde. Mais en France, en matière de droits des femmes, qu'est-ce qu'on pourrait espérer en plus ? Ce sont les mentalités qui doivent évoluer, mais on ne peut pas les changer comme ça. Moi-même, je suis soumise à des clichés, j'ai grandi avec ça. Oui, j'ai envie d'un homme plus grand, c'est complètement con, mais c'est comme ça. Tu ne peux pas imposer aux gens. C'est bien d'en parler, je trouve et d'essayer de changer les états d'esprit, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain.

La chanson que tu écoutes pour te booster ?

D.T. : 9 to 5 de Dolly Parton.

Qu'est-ce qui te révolte encore aujourd'hui ?

D.T. : La bien-pensance. Le mouvement de foule qui ne réfléchit pas vraiment. Je trouve génial qu'on soulève des débats, mais il faut vraiment qu'on comprenne pourquoi ça nous dérange. L'autre jour, j'écoutais la chanson de Brassens que j'adore : Mourir pour des idées : "Il arrive qu'on meure/Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain". En gros, mourir pour des idées, c'est bien beau, mais lesquelles ? On va se calmer deux secondes !

Il y a tellement de choses révoltantes chaque jour pour les femmes, pour les hommes, pour les poilus, pour les roux, pour les chiens... Il y a de quoi être révolté·e pour chaque seconde de la journée. Ne nous révoltons pas trop. Oui, il y a des choses révoltantes comme l'excision. Mais il y a d'autres choses qui sont mal et parfois, il suffit juste d'en parler.

Yves

Un film de Benoît Forgeard

Avec William Lebghil, Doria Tillier, Philippe Katerine et Alka Balbir...

Sortie au cinéma le 26 juin 2016

Mots clés
Culture Girl power interview feminisme cinéma #MeToo
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