C'est avec un visage bienveillant et un sourire radieux que Douglas Kennedy entre dans le Café Barge à Paris pour honorer la rencontre organisée par la Radio de la Communauté Juive mardi 13 mars. Après s'être excusé pour son léger retard ("Je suis un vrai New-Yorkais, donc d'habitude très ponctuel"), il commence à parler du deuxième tome de La symphonie du hasard, qui sortira en librairie le jeudi 15 mars. Dans cette saga, l'écrivain américain raconte le destin d'Alice, jeune New-Yorkaise des années 70 qui, après une succession événements dramatiques et une pression familiale de plus en plus forte, se réfugie de l'autre côté de l'Atlantique, à Dublin, où elle poursuit ses études de lettres.
Après un portrait fouillé et acerbe de la société américaine des années 60 et 70 dans le livre 1, Douglas Kennedy poursuit avec une toile de fond historique, et immerge Alice dans une Irlande ultra-conservatrice des années 70, pays d'Europe en pleine tourmente dans le conflit nord-irlandais. Une période dont Douglas Kennedy se souvient bien, puisqu'il a étudié un an à Trinity College (Dublin) en 1974.
Pendant la conférence, l'auteur n'hésite d'ailleurs pas à nous parler de son passé, de sa mère juive et dépressive, de son père qui dirigeait une mine et qui s'est échappé au Chili à la même période pour soutenir le coup d'état orchestré par Pinochet. Des éléments que l'on retrouve au coeur de l'intrigue des deux premiers livres de La symphonie du hasard. Si la ressemblance entre la vie d'Alice et celle de Douglas Kennedy semble plus qu'évidente, ce dernier se défend pourtant d'avoir écrit un roman autobiographique. "L'autofiction, c'est souvent la revanche de quelque chose", estime-t-il.
Pourtant, l'auteur semble bel et bien régler des comptes en dénonçant les nombreuses persécutions de l'époque contre les minorités dont il a été témoin dans l'Amérique et l'Irlande de sa jeunesse. Des injustices qui l'ont profondément révolté, nous raconte-t-il. Rencontre avec cet auteur passionné et passionnant.
Douglas Kennedy : J'aime explorer toutes les voies. Quand je commence à écrire un roman, je pars en voyage mais je ne sais pas où je vais, je ne connais jamais la destination finale. À l'origine, La symphonie du hasard était un seul roman très dense, je n'avais pas du tout prévu de le diviser en 3 livres. C'est pareil pour mes héroïnes. Un jour, il y a longtemps maintenant, j'étais dans le Maine avec ma femme et mes enfants. Je me promenais, j'ai rencontré une femme au visage magnifique mais qui semblait avoir eu une vie difficile. Elle m'a inspirée le personnage de Kate dans mon roman La Poursuite du bonheur.
Je suis une vraie éponge, je m'inspire beaucoup des gens que je rencontre. Pour autant, je ne dirais pas que j'écris du point de vue d'une femme. Je ne prétends pas savoir 'penser comme une femme', car cette affirmation me paraît absurde. Je pense que c'est une question d'empathie, mais aussi que cela dépend avant tout de la complexité de la personne. Nous sommes tous des êtres très complexes. Peu importe qu'on soit un homme ou une femme.
D.K : Je suis hyper féministe, en effet. Peut-être parce que ma mère était une femme très intelligente mais toujours anxieuse, très frustrée aussi. Un peu comme la mère d'Alice à la différence que son personnage change et évolue, contrairement à ma mère qui n'a pas connu le succès. Pour moi, la liberté individuelle est primordiale et je me méfie de la notion de compromis au sein du couple. Une femme ne doit pas se laisser contrôler par un homme et vice-versa. J'ai d'ailleurs toujours été avec des femmes très indépendantes et ambitieuses, qui ont construit une vraie carrière.
D.K : Je condamne le viol et le harcèlement sexuel, bien sûr. Je ne comprends pas que certains hommes puissent mettre une main aux fesses de femmes, comme ça, sans leur consentement. Je suis un homme et jamais je n'aurais de telles idées. Il est plus que temps que l'on dise 'non et non' à tout ça. Je pense notamment à ma fille Amalia qui est actrice. Dans le milieu du cinéma, encore beaucoup d'hommes promettent un rôle si les femmes couchent avec eux. Il faut que ça s'arrête.
Mais je pense aussi qu'il faut faire attention parfois à ne pas tomber dans les extrêmes. Je pense par exemple au sénateur du Minnesota Al Franken qui a été contraint de démissionner après qu'une femme a porté plainte contre lui parce qu'il aurait essayé de l'embrasser lors d'une soirée en 2006. Des prédateurs sexuels qui violent les femmes comme Harvey Weistein méritent de perdre leur carrière. Mais le fait qu'Al Franken ait tout perdu simplement parce qu'il a fait une bêtise un soir me paraît peut-être un peu démesuré... Cela dit, il faut bien reconnaître qu'il y a beaucoup d'hommes stupides ! [rires].
D.K : Quand j'étais étudiant à Bowdoin, il y avait un professeur qui couchait avec toutes ses étudiantes. Si elles ne voulaient pas, il les menaçait. J'ai connu une étudiante qui a refusé. Elle était juive, comme moi. Quand ce prof a vu qu'elle refusait ses avances, il a baissé sa note. Sur sa copie, il avait écrit : "La juive doit améliorer sa réflexion". Aujourd'hui, ce genre de commentaire antisémite est inacceptable... À l'époque, c'était autre chose.
J'ai aussi connu un étudiant gay, à l'apparence très singulière. Il avait les cheveux verts et faisait l'objet de nombreuses insultes homophobes. Dans le livre 1, le personnage de Carly se fait harceler au lycée et traiter de "gouine" à cause de ses cheveux courts et de son apparence "masculine". J'ai aussi beaucoup côtoyé le sexisme à ces époques, que ce soit à la maison ou à l'extérieur.
D.K : Non, pas cette fois. Dans le livre 3, Alice revient à New York.
Douglas Kennedy, La symphonie du hasard, livre 2. En librairie le 15 mars 2018.
Le livre 3 de La symphonie du hasard paraîtra le 3 mai 2018.