Pour la 3e année consécutive, le 9e jour du mois de novembre est placé sous le signe du harcèlement scolaire, un mal dont 700 000 enfants souffrent au quotidien. Instaurée par le Ministère de l'Éducation Nationale en 2015, cette journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire vise à détecter les harcèlements, libérer la parole, et permettre aux victimes de trouver l'aide nécessaire.
Insultes, moqueries, humiliations répétées à l'encontre d'un élève loin du regard des adultes.... Le harcèlement scolaire revêt différentes formes et se caractérise par un effet de récurrence qui peut durer quelques jours, quelques mois, voire parfois plusieurs années.
Ce phénomène de persécution se révèle d'autant plus préoccupant que, comme le rappelle Catherine Verdier, psychologue et vice-présidente de l'association Marion la main tendue, le harcèlement scolaire ne se limite plus aux grilles de l'école, puisqu'il se poursuit aujourd'hui par le biais du cyber harcèlement.
Dans son récent ouvrage #J'aime les autres : Les bonnes relations à l'école paru aux Éditions du Rocher, Catherine Verdier livre des méthodes claires pour prévenir et faire face au harcèlement scolaire, mais aussi pour le combattre.
Tout changement brusque de comportement doit interpeller, aussi bien les parents que les enseignants. Un brusque désinvestissement scolaire ou un surinvestissement scolaire, le refus soudain de se rendre aux fêtes d'anniversaire, votre enfant qui formule des remarques très négatives envers lui-même... Autant de petits symptômes auxquels il faut rester très attentif.
En effet. Mais il faut savoir qu'il y a 12% de harcèlement scolaire en école primaire et 10% au collège. C'est donc sensiblement plus courant en primaire, même si très peu de gens en sont conscients. Quand il est plus jeune, l'enfant exprime plus facilement le harcèlement scolaire dont il est victime : en simulant d'être malade pour ne plus aller à l'école, en faisant des cauchemars la nuit etc.
Chez l'adolescent ou le pré-adolescent, c'est en revanche plus difficile car il se mure facilement dans le silence, souvent par honte et /ou par culpabilité. Il est aussi courant qu'il préfère gérer le problème sans l'aide des adultes. Il y aussi la peur de décevoir les parents : pas facile en effet de leur avouer qu'on est traité comme un moins que rien par ses camarades.
En réalité, le harcèlement scolaire présente les mêmes symptômes que les autres agressions, comme le harcèlement sexuel dont on parle beaucoup en ce moment : le sentiment de honte qui pousse la victime à garder le silence est identique.
L'estime de soi est le nerf du harcèlement scolaire, aussi bien du point de vue de l'élève harceleur que de l'élève harcelé. Les premiers ont besoin de tyranniser d'autres enfants pour se rassurer sur leur propre personne, pour se sentir forts, parce qu'en réalité, ils ne sont pas sûrs d'eux.
Les seconds ont ce manque d'estime en soi en commun, à la différence qu'ils ne cherchent pas à le masquer. Ils sont donc des proies faciles pour les harceleurs potentiels. Mais en théorie, le harcèlement peut toucher n'importe qui. Bien souvent, il n'y a pas de raison particulière : un élève trop grand, trop gros, trop intelligent... Il n'y a donc pas de profil type de l'élève "victime", car le harcèlement scolaire reste un phénomène totalement irrationnel.
Tout d'abord, il ne faut pas oublier que le harcèlement est un phénomène de groupe. On a un harceleur et tout un groupe autour de lui qui rie aux insultes qu'il fait subir à ses ou à sa victime. Or, le rire est le carburant du harcèlement. Sans rires, plus de harcèlement. Ces élèves sont des "témoins". Et puis, il y a effectivement les "outsiders" qui assistent passivement à ces humiliations, sans les encourager mais sans intervenir pour les faire cesser.
Quant aux raisons, je pense qu'il y a ceux qui rient parce qu'ils considèrent qu'il vaut mieux être du côté du harceleur plutôt que contre lui. D'ailleurs, il y a sûrement d'anciennes victimes de harcèlement scolaire parmi les témoins et les outsiders. Et puis, il y a ceux qui ne sont pas vraiment à l'aise, et qui préfèrent appartenir à un groupe plutôt que d'être mis à l'écart.
Il est très difficile de repérer un enfant qui harcèle ses camarades. D'ailleurs, je n'ai pas le souvenir de parent qui m'ont rendu visite dans le cadre de mon activité de psychologue au motif que leur enfant était un harceleur. Il est en effet presque impossible pour un parent de reconnaître que son enfant harcèle les autres, même lorsque c'est l'école qui les met en garde. Il existe cependant des profils types, même si je ne suis pas très à l'aise avec le fait de mettre des étiquettes. Un enfant charismatique, un tempérament de leader, des élèves qui semblent plus "sûrs d'eux" alors que, comme je l'expliquais plus tôt, c'est souvent l'inverse...
Le cyber harcèlement est le prolongement de ce qui se passe dans la cour de récréation. Mais il peut aussi à l'inverse débuter sur internet, par le biais des réseaux sociaux par exemple, et continuer à l'école. Dans les deux cas de figure, le phénomène est très violent : en un clic, une réputation peut être détruite.
Je pense notamment au sexting, qui consiste à rendre publique une photo qu'une jeune fille dénudée aurait envoyé à son petit-ami, commentaires moqueurs ou insultants à l'appui. L'exposition est bien plus forte quand on passe par internet, et donc l'estime de soi file plus vite. Une insulte en un clic, cela paraît peu pour une personne. Mais 100 clics insultants adressés à la même personne font cent fois plus mal.
Les parents ont un rôle essentiel à jouer, même s'il est primordial que ce soit l'école qui signale le problème. En France, chaque école bénéficie d'un référent harcèlement scolaire, qu'il ne faut pas hésiter à contacter dans ce cas là.Il y a aussi une loi qui condamne le harcèlement scolaire depuis 2014. On peut donc porter plainte dans les cas extrême si cette situation dure et ne se résout pas, y compris quand les parents et/ou enseignants interviennent.
En ce qui concerne le cyber-harcèlement, il y a en revanche trop peu, voire pas du tout, d'initiatives mises en place dans les écoles de France. Il est pourtant urgent et indispensable d'éduquer les enfants aux conséquences catastrophiques du cyber harcèlement : les ados savent comment se défendre dans l'hypothèse où ils seraient attaqués [conserver des traces écrites, faire des captures d'écran], mais ils mesurent rarement l'étendue et l'ampleur des dégâts qu'ils provoquent quand ce sont eux qui harcèlent les autres sur internet. En France, il y a une loi qui punit contre la diffusion d'images d'une tierce personne sur le net sans son autorisation. Malheureusement, personne ne semble la connaître, et donc personne ne la respecte.
Pour "réparer" un enfant victime de harcèlement à court terme, c'est-à-dire au moins pour lui donner le courage de retourner à l'école, il faut au minimum 6 mois de thérapie. Le plus important consiste à travailler sur l'estime de soi avec les parents. Redonner confiance à l'enfant en lui montrant sa valeur, le soutenir psychologiquement. C'est le but des ateliers que nous organisons avec l'association Marion la main tendue. Nous créons des scénarios entre les enfants, en instaurant un climat de confiance et en les incitant à prendre la parole en public pour parler de leur expérience.
Nous nous inspirons de la méthode Pikas, appliquée dans les écoles primaires suédoises, qui consiste à replacer l'enfant victime de harcèlement au coeur des préoccupations, mais surtout à lui redonner foi en lui. C'est un travail à long terme pour l'enfant, qui passe aussi par le soutien aux parents. Nos ateliers qui s'étalent sur une journée entière consacrent d'ailleurs une demi-journée aux parents, au cours de laquelle nous leur expliquons comment ils peuvent aider leurs enfants à guérir de la violence qu'ils ont subie. Car les parents eux aussi sont effrayés. Retrouver une relation parent-enfant apaisée aide les enfants à mieux se remettre et à aller de l'avant.
Catherine Verdier, #J'aime les autres : les bonnes relations à l'école, Éditions du Rocher, 14€90.
Numéro vert " Non au harcèlement" : Élèves, parents, professionnels, appelez le 3020 (services et appels gratuits)