Sous le fragile vernis de la civilisation, l'homme reste un animal, et il le porte dans ses gènes et ses comportements. Produit d'une longue évolution, il a conservé des traces subtiles d'anciennes méthodes de communication. Et c'est pour cela que les psychologues et scientifiques se penchent autant sur notre langage corporel : ce langage inconscient et muet a l'avantage d'échapper aux filtres de contrôle de la parole... Et donc d'être parfaitement sincère. Et si l'analyse de la dilatation des pupilles et l'étude des micro-expressions ou de la gestuelle nous sont désormais familières, des chercheurs viennent de mettre en avant un nouveau révélateur de personnalité : notre démarche. Alors, montre-moi comment tu marches, je te dirais qui tu es ?
Se tenir debout n'a pas une simple fonction de déplacement. Notre démarche permet aussi de transmettre des informations sur notre sexe, notre statut social, notre état physique et notre tempérament. En effet, ancestralement, la démarche est ce qui permet d'identifier un individu de loin et de savoir comment réagir à sa venue : notre manière de nous déplacer livre une foule d'informations, même si l'on n'en est pas toujours conscient. Notre démarche trahit tout d'abord notre sexe : les femmes se déplacent en bougeant peu les épaules, mais avec d'importantes rotations du bassin, alors que chez les hommes, le bassin pivote moins largement mais les épaules se balancent plus. Mais elle révèle également des informations bien plus personnelles.
En effet, notre personnalité joue sur notre démarche, comme l'a démontré la psychologue australienne Rebekah Cunns. Quelqu'un qui avance par petites enjambées, qui balance peu ses bras et pose prudemment ses pieds sur le sol, selon cette étude, est une personne craintive, qui est mal à l'aise et manque de confiance en elle. Au contraire, une démarche énergique et élastique, ponctuée par de grandes enjambées, un contact résolu des pieds sur le sol et le dos droit indique à coup sûr un "dominant", c'est-à-dire un leader, quelqu'un d'assuré, déterminé et confiant.
Selon Mme Cunns, qui a publié une étude intitulée "Changer de cinématique pour réduire sa vulnérabilité aux agressions", ces derniers sont moins susceptibles d'être agressés : ils sont automatiquement identifiés comme des éléments forts, alors que ceux qui marchent avec raideur et crainte seront automatiquement vus comme étant vulnérables. Rien qu'à la démarche, il est donc possible de repérer dans une assemblée un "maillon faible". C'est pourquoi des chercheurs se sont penchés sur cette question : si l'on peut déceler la vulnérabilité dans la démarche d'une personne, peut-on de la même manière y détecter l'agressivité ?
Le département de recherche en psychologie de l'université de Portsmouth (Grande-Bretagne) s'est évertué à répondre à cette question. Les chercheurs ont tenté de déterminer si notre démarche était liée à notre émotivité en ciblant deux critères : l'agréabilité (l'attitude d'une personne détendue et calme) et l'agressivité (l'attitude d'une personne stressée et sur la défensive, dans une attitude "d'attaque").
Ils ont mené une étude sur 29 volontaires, 16 hommes et 13 femmes, qui ont été soumis à deux tests psychologiques de référence, afin de saisir les dominantes de leurs tempéraments : le questionnaire de Buss-Perry, qui mesure l'agressivité d'une personne (physique ou mentale, impulsivité, niveau de colère) et l'inventaire des Big Five qui permet de mesurer les 5 principaux facteurs de la personnalité (originalité, consciencieusité, extraversion, agréabilité, névrotisme). Les volontaires ont ensuite dû marcher normalement sur un tapis roulant, reliés à un ordinateur par des capteurs placés sur leurs épaules, leurs thorax, leurs dos, leurs bassins, jambes et pieds. De cette façon, la machine pouvait reproduire le schéma de leurs démarches : "Nous avons alors cherché des corrélations entre ces paramètres et différents traits de personnalités ainsi que l'agressivité.", a expliqué Benjamin Chapman, le directeur de l'étude, dans le Journal of Nonverbal Behavior.
Et les résultats ont mis en évidence une démarche qui reflète l'agressivité et l'agitation : les chercheurs l'ont appelée la "démarche du swagger". Quand on marche normalement, lorsque le pied droit s'avance, le côté droit du bassin s'avance également tandis que l'épaule gauche recule afin de maintenir l'équilibre. Mais quand ce mouvement est accentué, avec une raideur du thorax qui pivote peu et une rotation violente des épaules, c'est un signe direct d'agressivité. Cette démarche peu naturelle, qui "gonfle" artificiellement la stature de la personne, est facilement identifiable. Elle est souvent imitée par les jeunes qui cherchent à impressionner : ils adoptent inconsciemment la manière de se déplacer d'individus qui les ont intimidés.
"Nos résultats montrent qu'il y a d'importants prédicteurs de comportements dans le mouvement automatique. Notre étude est relativement petite, mais on espère que cette publication encouragera d'autres scientifiques à s'intéresser davantage à la personnalité.", conclut Benjamin Chapman. Et pour cause : cela pourrait permettre de développer des systèmes de vidéosurveillance qui s'appuieraient sur le décryptage du langage corporel, afin d'identifier dans les foules des dangers potentiels.