Société
"Audrie & Daisy" : la culture du viol au coeur d'un documentaire saisissant
Publié le 23 septembre 2016 à 11:26
Par Anaïs Orieul
Présenté à Sundance et aussitôt acheté par Netflix, le documentaire Audrie & Daisy apporte un éclairage inquiétant mais nécessaire sur les agressions sexuelles à l'heure des réseaux sociaux. Comment survivre quand viol et cyber harcèlement s'emmêlent ? Malheureusement, parfois on n'en revient pas.
Audrie & Daisy : le documentaire édifiant de Netflix sur la culture du viol Audrie & Daisy : le documentaire édifiant de Netflix sur la culture du viol© Netflix
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C'était en 2012. Daisy Coleman avait alors 14 ans et vivait à Maryville, une petite ville du Missouri. Un matin de janvier, sa mère la retrouve inconsciente sous le porche de leur maison. Simplement vêtue d'un legging et d'un t-shirt, Daisy frise l'hypothermie. Comment est-elle arrivée là ? La veille, la jeune fille, accompagnée de son amie Paige Parkhurst, âgée de 13 ans à l'époque, est allée faire un tour dans le bar familial, comme ça, juste pour goûter. Puis un ami de son frère, Matthew Barnett, 17 ans, leur a proposé de venir traîner dans son sous-sol avec d'autres copains. Daisy a continué à boire, les garçons ont même transformé ça en challenge. Et d'un coup, le blackout et la séparation. Paige est emmenée dans une autre pièce. Là elle est violée par un garçon de 15 ans. Quant à Daisy, elle est violée par Matthew Barnett. Inconsciente, violée et même filmée par l'un des garçons. Son histoire a eu un retentissement international. Car le violeur était une star du football dans son lycée, petit-fils d'une figure politique locale, et qu'il a été condamné à une peine minime : deux ans de probation.

La même année, à Saratoga, en Californie, Audrie Pott subit le même calvaire. Elle a 15 ans, elle est jolie, populaire, aimée de tous. Un soir, elle se rend à une soirée avec sa meilleure amie. Elle boit trop et sombre dans l'inconscience. Au matin, elle découvre qu'on lui a écrit sur le corps – et les parties intimes - avec un marqueur indélébile. Elle se connecte à Facebook, envoie des messages à ses amis, des garçons qu'elle connaît depuis toujours. Que s'est-il passé ? Personne ne lui répond clairement. Mais Audrie a été abusée sexuellement et comme elle l'apprend au lycée, une vidéo d'elle circule. Elle s'en veut à elle-même, pense qu'elle a fait quelque chose de mal. "Ma vie est finie", assure-t-elle dans son dernier message Facebook. Huit jours après cette nuit de l'horreur, l'adolescente se pend dans sa salle de bain.

Audrie Pott et Daisy Coleman ne se connaissaient pas, mais elles sont devenues le symbole de la culture du viol aux Etats-Unis. Toutes deux ont été agressées sexuellement par des camarades et supposés amis, toutes deux ont été la cible du cyber harcèlement. A Maryville, les choses ont pris une telle proportion que la maison des Coleman a été brûlée. Pour Bonni Cohen et Jon Shenk, un couple de réalisateurs, les histoires de ces deux adolescentes sont venues s'ajouter à toutes les autres déjà entendues, elles sont devenues tragiquement familières. Alors ils ont décidé de raconter les histoires de ces jeunes filles dans un documentaire.

Présenté à Sundance et acquis par Netflix, Audrie & Daisy est un film saisissant et utile. Sobre, il alterne les interviews et les images d'archives. Interrogés par le Guardian, les réalisateurs expliquent avoir été interpellés par les similarités dans ces histoires : "C'était important de montrer qu'il peut se passer les mêmes choses dans la banlieue de San Francisco et dans une petite ville rurale du Missouri. Même s'il y a un monde entre ces deux villes, elles se rejoignent concernant ces deux affaires. Pour nous, ce fut une véritable surprise de voir que l'on pouvait retrouver ce genre de comportement peu importe la ville".

... © Netflix
Réseaux sociaux et gentils garçons

Il y a un an tout juste, le documentaire The Hunting Ground (encore inédit en France) choquait les États-Unis en s'attaquant avec force à l'épidémie de viols qui ravage les campus universitaires du pays. Au coeur du film : la fameuse culture du viol qui blâme la victime et protège le violeur – d'autant plus quand celui-ci est blanc, de bonne famille, populaire, et que c'est un athlète. Depuis, l'affaire Brock Turner a éclaté et écoeuré un peu plus les foules. Avec son goût douteux de déjà-vu, elle pose une fois de plus la question : pourquoi la justice persiste-t-elle à protéger les violeurs ? Dans Audrie & Daisy, ce n'est pas tant les retombées judiciaires qui importent, que de montrer comment le procès commence dans les foyers. Comme Brock Turner, Matthew Barnett est un athlète populaire, mais surtout, il est originaire d'une petite ville où tout le monde connaît tout le monde. Il est aimé, c'est un gentil garçon, et on ne souhaite surtout pas voir sa vie gâcher à cause "d'une erreur de jeunesse". C'est donc à Maryville que la chasse aux sorcières 2.0 commence. Humiliée et menacée sur les réseaux sociaux, Daisy devient la salope, la tentatrice, celle qui n'aurait pas dû boire plus que de raison. Lorsque les vôtres se retournent contre vous, lorsque vous êtes clouée au pilori avec autant de facilité, comment ne pas croire que tout est de notre faute après ça ?

Surtout que parmi les témoignages, on trouve celui du shérif de Maryville, Darren White. L'homme de loi, censé protéger les siens, livre des commentaires désinvoltes, du type : "Il ne faut pas sous-estimer le besoin d'attention, surtout chez les jeunes filles", ou encore : "Tout le monde veut balancer le mot 'viol' ici". Quatre ans après l'humiliation et les multiples tentatives de suicide, Daisy Coleman reste la coupable de l'affaire, celle qui a transformé Maryville, une petite bourgade tranquille, en véritable cirque médiatique. A l'autre bout du pays, Audrie Pott n'a même pas eu le temps de comprendre qu'elle n'était pas fautive. Les deux garçons qui ont abusé d'elle et qui témoignent dans le film (sans montrer leur visage) expliquent très vite que dans leur lycée, ils étaient nombreux à partager un compte privé sur Internet dans lequel ils balançaient des photos de leurs camarades féminines dénudées. Photos que les jeunes filles envoyaient à un garçon en particulier et qui finissaient par faire le tour de l'établissement. Audrie Pott a toujours refusé de se prêter à ce petit jeu, mais consentante ou pas, elle a terminé sa course sur les smartphones et les comptes Facebook de ses amis.

Audrie & Daisy démontre à quel point ce qui arrive après l'agression sexuelle est parfois encore plus dur à surmonter – surtout lorsqu'on est une adolescente à l'époque des réseaux sociaux. A la honte et la culpabilité vient s'ajouter un harcèlement permanent qui empêche la reconstruction. Après la mise en ligne sur Netflix, les réalisateurs ont pour projet de montrer leur film dans un grand nombre d'établissements scolaires. La solution, selon eux, est une meilleure éducation des jeunes. Interrogés par The Independent, ils expliquent : "Ils n'ont pas toujours accès aux cours d'éducation sexuelle et ils ne comprennent pas qu'ils ont une responsabilité lorsqu'ils communiquent en ligne ou lorsqu'ils sont à une soirée où de l'alcool circule". Et d'ajouter : "C'est entre nos mains maintenant, toutes ces choses se passent dans nos foyers, avec les parents parfois présents".

Instructif et grandement nécessaire, ce nouveau documentaire Netflix n'est cependant pas parfait. On regrette ainsi le manque d'approfondissement d'un côté comme de l'autre. Audrie Pott aurait mérité qu'on s'attarde plus longtemps sur son histoire, qu'on revienne plus en longueur sur le cyber harcèlement dont elle a été victime. Du côté de Daisy Coleman, certaines choses sont également frustrantes. Bien que son histoire ait eu un retentissement international et qu'Anonymous se soit emparé de l'affaire, le film égratigne à peine cette partie de l'affaire. Reste qu'Audrie & Daisy bouscule, notamment lorsque le film laisse la parole aux hommes. Charlie, le grand frère de Daisy, était aussi un athlète star de son lycée. Après le viol de sa soeur, il s'est rendu compte que la popularité n'avait pas le pouvoir de vous protéger des drames. Jeune homme réellement fascinant, il est aujourd'hui entraîneur d'une équipe de base-ball junior et s'est donné pour mission d'éduquer les plus jeunes. Et puis il y a l'un des agresseurs d'Audrie (forcé par le juge de témoigner dans le film), qui avoue que ce qu'il retiendra de tout ça, c'est que les filles aiment les ragots et qu'elles sont facilement embarrassées. Si Daisy a refait sa vie, la culture du viol, elle, persiste et signe.

Audrie & Daisy, à partir du 23 septembre sur Netflix, 95 minutes

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Société Culture feminisme News essentielles harcèlement television
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