Ce qui se passe à Sundance, ne reste pas forcément à Sundance. Car si les films projetés au festival américain mettent très longtemps à arriver sur nos terres (quand ils y arrivent), d’autres enthousiasment tellement le public qu’il est impossible – même pour nous – de passer à côté. On se souvient ainsi qu’en 2013, le festival avait sélectionné Blackfish, un documentaire virulent sur la captivité des orques dans les parcs d’attraction aquatiques Sea World. Le film avait créé un tel scandale que les actions de Sea World à Wall Street avaient fini par accuser une baisse énorme. Diffusé en France (sur Arte) l’année suivante, Blackfish avait traumatisé plus d’un téléspectateur. Pour sa cuvée 2015, Sundance continue sur sa lancée de documentaires forts avec The Hunting Ground et Hot Girls Wanted. Le premier s’intéresse à l’épidémie de viols qui pourrit de l’intérieur les campus américains, tandis que le second s’attaque à une industrie du porno sans scrupule qui recrute à la sortie des lycées. Deux films choquants, acclamés, et qui ont un point commun : les dérives sexuelles des jeunes Américains.
Produit par l'actrice Rashida Jones et réalisée par les ex-journalistes Jill Bauer et Ronna Gradus, a soulevé le cœur du public de Sundance. Il faut dire que le film arbore de manière assez crue la pornographie adolescente. Alors qu’elles travaillaient sur la consommation de films X sur les campus universitaires américains, les deux femmes se sont rapidement rendues compte que de nombreuses lycéennes s’essayaient au porno pour gagner quelques dollars ou échapper à leur quotidien maussade. « On se disait que ce n’était pas possible, que, si c’était vrai, il y aurait déjà eu des articles là-dessus. On ne pouvait pas y croire », raconte Ronna Gradus, mortifiée. Rapidement, les réalisatrices se sont donc lancées dans une toute nouvelle enquête et ont alors découvert le pire. Les adolescentes à peine majeures à tenter l’aventure du porno sont extrêmement nombreuses. Elles sont recrutées sur Craigslist, célèbre site de petites annonces américain, et n’hésitent pas à accepter les scènes les plus hardcores pour une prime juteuse. «Les adolescentes les plus recherchées sont celles qui acceptent les scènes de viol simulé et de fellation violente», confie avec horreur Ronna Gradus. Choquées, les deux enquêtrices ont même dû renoncer à visionner certaines scènes. « On a demandé à notre monteuse de regarder pour nous et de faire les choix », explique Jill Bauer.
Et si Hot Girls Wanted suit des jeunes femmes encore traumatisées et en quête de reconstruction, le but est avant tout d’épingler l’industrie du X qui s’attaque à des proies faciles. Car les candidates sont nombreuses et en six mois, elles sont donc « périmées ». Jill Bauer indique : « Les filles ne doivent pas rester longtemps sur le marché, car les gens demandent de nouveaux visages, de la chair fraîche ». Avec ce film, les deux réalisatrices ne sont pas en quête de sensationnalisme, mais espèrent plutôt faire bouger les choses une fois le buzz retombé. Outre montrer les conséquences néfastes de l’hypersexualisation des ados, elles veulent ouvrir un débat de société et peut-être même faire changer la loi du travail, pas vraiment stricte avec les producteurs de cinéma porno.
La culture du viol dans le viseur
Dans The Hunting Ground, les prédateurs ne sont pas les mêmes mais les proies restent faciles. Après s’être attaqué au sujet tabou des viols de militaires dans l’armée américaine avec The Invisible War, le réalisateur Dick Kirby et la productrice Amy Ziering reviennent avec un film coup de poing qui s’intéresse cette fois-ci à la culture du viol qui règne sur les campus universitaires de leur pays. Il faut dire que les agressions sexuelles impunies sont tellement nombreuses qu’il n’est pas rare d’en entendre parler de ce côté-ci de l’Atlantique. On se souvient ainsi d’Emma Sulkowicz, cette étudiante de l’université de Columbia qui avait décidé d’emmener partout avec elle le matelas sur lequel elle avait subi l’horreur tant que son agresseur ne serait pas renvoyé. Une façon de pointer du doigt l’université qui refuse de la croire et préfère se plonger dans un mutisme gênant.
Cette épidémie de viols est dans le viseur de nombreux médias et personnalités politiques depuis plusieurs mois. Fin 2014, l’Etat de Californie promulguait même la loi « Yes means yes » qui stipule que toute relation sexuelle doit être précédée d’un consentement explicite. Mais avec son film, Dick Kirby explique clairement que le chemin s’annonce encore long et fastidieux avant que les mentalités ne changent. Six grandes écoles sont ainsi mises en avant dans The Hunting Ground (dont Harvard, Notre-Dame et Chapel Hill) mais le réalisateur rappelle qu’en réalité, 90 universités américaines sont actuellement visées par des enquêtes. On découvre ainsi le combat d’Andrea Pino et Annie Clark, deux étudiantes agressées sexuellement sur leur campus de Caroline du Nord et qui sont allées à la rencontre d’une centaine de jeunes femmes ayant subi la même expérience traumatisante. Dans tous les cas, les victimes ont dû faire face à la loi du silence et à la stigmatisation.
Si les fraternités masculines sont évidemment pointées du doigt, le documentaire n’oublie pas les sportifs. Comme le rapporte le New York Times, le segment le plus incendiaire du film est consacré au footballeur Jameis Winston. QuArterback star de l’université de Floride, ce dernier a violé une étudiante en 2012 sans jamais être inquiété. Le film se moque clairement de l’enquête bidon qui a été menée avant que le jeune homme ne soit lavé de tout soupçon. Approché par la NFL, Jameis Winston pourrait donc bientôt venir grossir les rangs de joueurs professionnels déjà trop souvent accusés de violences sur les femmes. Finalement, le réalisateur évoque des chiffres accablants alors que seulement 4% des étudiants américains sont détenteurs de bourses d’études sportives, ils sont 19% à être responsables d’agressions sexuelles sur leurs camarades.
Pour le moment, aucune projection des deux documentaires n’est prévue en France. The Hunting Ground sortira dans quelques salles américaines le 20 mars prochain et sera ensuite diffusé sur CNN. Mais rien du côté de Hot Girls Wanted. Ces explorations bien documentées des dérives sexuelles de la jeunesse américaine s’exporteront-elles un jour sur nos écrans ? On leur souhaite en tout cas de connaître le même retentissement que Blackfish, aux Etats-Unis et à travers le monde.