L'annulation d'une projection, celle du Dernier Tango à Paris, à la Cinémathèque, fait beaucoup réagir. Cette projection devait prendre place ce dimanche 15 décembre à 20h dans le cadre d’une rétrospective consacrée à l’acteur américain Marlon Brando.
Des personnalités engagées comme la journaliste Chloé Thibaud, l'autrice du livre Désirer la violence : ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer, étaient venues protester en rappelant le calvaire vécu par l'actrice principale du film, la regrettée Maria Schneider, durant le tournage, sujet sur lequel celle-ci est souvent revenue. Et en appeler, surtout, à l'intervention d'une spécialiste de ces enjeux dans le cadre de cette séance. Une sollicitation que nous vous détaillons ici.
Puis la séance a été annulée.
Alors que l'établissement affirme avoir annulé cette projection "pour des raisons de sécurité" et afin "d'apaiser les esprits" ("La sécurité de nos publics et de nos personnels passant avant toute autre considération", précise le communiqué de la Cinémathèque), d'autres paroles militantes très influentes, comme celle de Judith Godrèche, incitent aujourd'hui volontiers à tendre l'oreille... Avant de crier à la cancel culture.
Et notamment, de se tourner vers des images loin d'être anciennes. Elles ont à pleine plus d'une décennie. En 2013, le cinéaste italien Bernardo Bertolucci était invité à donner sa "leçon de cinéma" à la Cinémathèque justement, pour évoquer ce film sulfureux, son plus connu, son plus controversé. Et sous l'amusement de ses interlocuteurs, ce qu'il racontait mérite effectivement... Qu'on s'y attarde.
Doux euphémisme.
Pour rappel, le consentement de Maria Schneider a été violé sur le plateau du film qui a bouleversé sa vie, pas forcément pour les meilleurs raisons : Le dernier tango à Paris du cinéaste italien Bernardo Bertolucci. Et ce lors d'une scène avec Marlon Brando impliquant une sodomie (simulée) et une motte de beurre. Le réalisateur n'avait pas prévenu l'actrice des gestes intimes que Marlon Brando devait faire.
Pour elle, cette séquence fut comme "un vrai viol". Quand on l'entend crier dans le film, ce sont de vrais cris. Un calvaire qu'on vous relate ici en s'appuyant sur les mots de Vanessa Schneider, sa cousine, autrice du livre Elle s'appelait Maria Schneider.
Mais cela semble amuser Bernardo Bertolucci.
Voilà ce qu'il dit en 2013 à la Cinémathèque, face à une assistance captivée, partagée entre gêne et amusement : "Il y a eu surtout un moment où je comprends que Maria puisse avoir développé un sentiment envers moi pas d’amour et de sympathie.. quand Brando dans le film dit ‘va chercher du beurre‘ et il la tourne et la sodomise avec le beurre, l’idée est venue à moi et Marlon quand on prenait notre petit déjeuner sur la moquette… et y avait du beurre et des baguettes … on s’est regardés..."
"Et la chose un peu atroce c’est que moi et aussi Marlon nous n’avons rien dit à Maria de ce qui allait arriver. Parce que je voulais avoir sa réaction pas d’actrice mais de jeune femme .. elle hurle elle dit ‘ non arrête !!! ‘ et elle était blessée", poursuit le metteur en scène, suscitant un léger malaise dans l'assistance, après quelques rires engendrés par son anecdote du "déjeuner".
Avant de conclure sur le même ton, apparemment fier : "Elle était blessée parce qu’on lui avait pas dit ce qui allait arriver .. cette blessure a été utile au film.., je crois pas qu’elle aurait réagi de la même façon si elle avait su .. ça je comprends que toute sa vie elle était persécutée par ce moment .. Mais c’est aussi comme ça qu’on fait des films"
Autre son de cloche : les mots de Maria Schneider, dans une interview importante à retrouver en intégralité ici : "Quand quelque chose n'est pas écrit dans un scénario, mais improvisé, on peut dire non. Sur le plateau, j'ai senti tout de suite que ce serait moi qui subirait une humiliation. C'est une scène écrite par des hommes".
Et puis, il y aussi ces paroles de l'actrice en 2007, au journal britannique Daily Mail : "Même si ce que faisait Marlon n’était pas réel, je pleurais de vraies larmes. Je me suis sentie humiliée et, pour être honnête, un peu violée, à la fois par Marlon et par Bertolucci".
Est-ce vraiment ainsi que l'on "fait des films" ?
Judith Godrèche, à ce sujet, sur son compte Instagram : "Entendons le ‘NON’ de MARIA SCHNEIDER. Parfois il est trop tard. Alors c’est à notre tour de dire NON. Car tout le monde le sait, c’est un vrai viol qui a été filmé dans Le dernier tango à Paris".
"La cinémathèque réponds à notre ‘ S’il vous plaît - non‘ par : ‘ Ce serait tellement dommage de ne pas lui rendre hommage à elle aussi lors de cet hommage à BRANDO, c’est son plus beau rôle. ‘. Sont-ils persuadés que ce film honore la mémoire de BRANDO ? Et pourquoi pas - plutôt- honorer celle de MARIA ?"