Le consentement violé, face caméra.
Le dernier tango à Paris est le film le plus connu du sulfureux cinéaste italien Bernardo Bertolucci. Mais ce n'est pas pour son atmosphère, sa photographie, où le jeu de Marlon Brando, qu'il hante les mémoires cinquante ans après sa sortie. Mais parce qu'il nous montre une agression sexuelle, une vraie : pour rappel, alors que le cinéaste italien et la star hollywoodienne étaient tous deux dans la complicité, Maria Schneider, actrice phénoménale alors à ses prémices, a vu son consentement méprisé lors d'une scène impliquant une sodomie (simulée).
Lors de cette scène volontairement "choc", décidée au dernier moment par le metteur en scène afin de provoquer des réactions, l'acte sexuel subi par le personnage féminin s'accompagne d'une motte de beurre, en guise de lubrifiant. Or, le réalisateur n'avait pas prévenu l'actrice des gestes intimes que Marlon Brando devait faire en ce sens. Maria Schneider, très jeune à l'époque, n'était pas consciente du contenu précis de cette scène, et notamment des gestes relatifs à cette motte de beurre.
C'est donc une agression sexuelle, comme le relate sa cousine, Vanessa Schneider, dans son récit : "Tu t'appelais Maria Schneider". Un récit essentiel qu'on vous raconte dans cet article.
Et aujourd'hui, Le dernier tango à Paris s'apprête à être projeté à la Cinémathèque.
Ce dimanche 15 décembre à 20h, plus précisément. Fort logiquement, des voix féministes se font entendre pour protester. Des personnalités engagées comme la journaliste Chloé Thibaud, l'autrice du livre Désirer la violence : ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer, protestent.
Et si on les écoutait ?
Derrière ce dernier tango, le calvaire de Maria Schneider.
Sujette à une peine de prison de par le scandale international du film (classé X), peine équivalant à deux mois de prison avec sursis, Maria Schneider, a suite aux controverses intenses suscitées par l'oeuvre de Bertolucci poursuivi tant bien que mal une carrière traversée d'excès (une addiction à la drogue notamment). Surtout, malgré la bienveillance de cinéastes majeurs, comme Jacques Rivette, elle n'est jamais parvenue à se détacher de cette image dite "sulfureuse". Et fut traitée de tous les noms dans une société à la misogynie assumée.
C'est en sa mémoire qu'un appel est désormais lancé à la Cinémathèque. Et c'est pour cela que la journaliste Chloé Thibaud a décidé d'interpeller l'institution. Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque, a justement répondu à Chloé Thibaud.
Réponse que celle-ci partage en story : "Je comprends votre émotion à la lumière des développements récents sur les conditions du film. Il aurait toutefois été impensable et absurde de ne pas projeter le film dans le cadre d'un hommage à Marlon Brando", répond Jean-François Rauger.
"C'est un film important non seulement dans la carrière de l'acteur, mais aussi dans l'histoire du cinéma. Il serait par ailleurs tout autant désinvolte et peu respectueux du talent de Maria Schneider de ne pas projeter ce film qui reste une des oeuvres majeures de sa carrière"
Et la journaliste de rétorquer : "Ce n'est pas mon émotion qui a dicté mon mail mais mon expertise du journaliste. En projetant ce film, la Cinémathèque affirme sa volonté de continuer à écrire l'histoire du cinéma au masculin. Maria Schneider a répété plusieurs fois en interview qu'elle ne voulait plus être associée à ce film, que sa projection était une souffrance immense"
"Elle a elle-même utilisé le mot Viol pour en parler, et ce film lui a finalement coûté sa vie. Nier ces vérités biographiques, c'est cela qui est absolument désinvolte. Ce film met en scène des violences réelles... "Vous auriez pu a minima organiser une table ronde avec plusieurs femmes spécialistes, faire entendre et respecter la parole des femmes, voilà ce qui est réellement important"
Hormis Chloé Thibaud, dont le compte Instagram est suivi par plus de 23 000 personnes, l'actrice Judith Godrèche, elle aussi, désapprouve sur son compte Instagram cette projection du film à la Cinémathèque.
Dans une interview de 2006 de l'émission "Vie privée, Vie publique" à retrouver en intégralité ici, Maria Schneider s'exprimait ouvertement à propos de cette souffrance. Un demi siècle après la sortie du film, il est important de l'écouter.
"Quand quelque chose n'est pas écrit dans un scénario, mais improvisé, on peut dire non. Sur le plateau, j'ai senti tout de suite que ce serait moi qui subirait une humiliation. C'est une scène écrite par des hommes", affirmait-elle alors.
Et l'actrice regrettée, qui a récemment eu droit à un biopic porté par Anamaria Vartolomei et signé Jessica Palud justement dédié à cet événement tragique de sa vie (on vous en parle en détails ici), de poursuivre : "J'aurais du appeler un agent. Aujourd'hui, on ne peut pas forcer une actrice à faire ça sur un film : quelque chose qu'elle ne veut pas faire, qui n'est pas écrit dans le scénario. On a clairement profité de ma jeunesse"
"C'est le réalisateur le manipulateur dans l'histoire. Même Marlon Brando m'a dit qu'il avait été manipulé par Bertolucci. Marlon Brando m'a soutenu... après. Mais personne ne me protégeait à la sortie du film. Et suite à ce film, je voulais oublier qui j'étais. Alors, je me suis droguée. Et les drogues dures m'ont fait perdre sept ans de ma vie, c'est ça que je regrette"
De quoi repenser la pertinence de cette projection, peut être ?