Vous vous en souvenez certainement : en octobre dernier, Charlie Hebdo avait décidé de représenter le procès de Mazan, à travers une caricature, et plus précisément, une parodie... De L'amour ouf, le film à succès de Gilles Lellouche. Oui oui, c'est réel. On vous en parle en détails ici.
Sur ce dessin polémique signé Félix, on voit les violeurs de Gisèle Pelicot, qui comparaissent par dizaines au tribunal depuis septembre, dénudés, en file indienne, alors que la victime de viols, gît, inconsciente, sur le lit. On parle bien là d'une femme violée chez elle, sous soumission chimique, durant près de dix ans, par son mari, et une cinquantaine d'inconnus recrutés sur le web. En exergue, l'intitulé "L'amour ouf" vient appuyer une ironie qui, dans ce contexte, passe très mal.
Et si ce dessin avait suscité l'indignation des internautes, convenant qu'il est malvenu de rire du viol, c'est une autre dessinatrice du journal satirique, Coco, qui, fait controverse en représentant, cette semaine, l'affaire Adèle Haenel, pour Libération. C'est à dire, le procès du réalisateur Christophe Ruggia, metteur en scène que l'actrice doublement Césarisée accuse d'"agressions sexuelles aggravées" entre ses 12 et 14 ans. Des accusations graves que nous vous détaillons dans notre article dédié au sujet.
Le cinéaste de 59 ans, qui a dirigé Adèle Haenel alors que celle-ci était encore enfant, est accusé d'agressions sexuelles sur mineure. Et de ce procès qui a eu lieu du 9 au 10 décembre au tribunal correctionnel de Paris, la dessinatrice Coco a choisi de conserver un segment.
A savoir ? C'est justement là que le bas blesse...
On vous résume la chose.
Su ce dessin est précisément mis en scène l'un des moments forts de ce procès, qui fera date dans l'histoire de #MeToo en France : le "Mais ferme ta gueule !" de l'actrice, une exclamation précisément décochée à l'accusé au tribunal, alors que celui-ci, pour rappel, expliquait auprès du juge "l'avoir protégée" à ses débuts dans le monde du cinéma. Ce n'est pas une phrase "balancée" au hasard, sans le moindre contexte.
Ce cri d'agacement qui a beaucoup fait réagir sur la Toile est donc représenté sur ce dessin de Coco. Logique : beaucoup de militantes féministes, et d'internautes, qui soutiennent l'engagement d'Adèle Haenel et son combat depuis ses premières prises de parole à Médiapart, comparent déjà ce "Ferme ta gueule !" à "La honte !", une autre exclamation, poussée par Adèle Haenel lors du sacre de Roman Polanski aux César en 2020. Rappelez-vous.
On peut donc voir en ce dessin un hommage. Oui, sauf que la démonstration dérange...
Ce qui fait polémique, c'est la nature même du dessin, ouvertement caricatural, et ses gros traits : sans précisions, Adèle Haenel est représentée comme une figure hurlante, le visage déformé par la colère, ou plus encore... la haine. Alors que face à elle, le cinéaste, décoiffé par ce hurlement, est littéralement "castré" par l'intensité de la protestation, tel qu'on peut le voir par le biais d'un détail organique très... Cru.
Si l'on a pas plus de détails sur ce procès historique concernant les violences sexuelles dans le cinéma français et la libération de la parole des femmes, voici ce que l'on imagine : une femme "hystérique", presque monstrueuse (ses yeux hallucinés parlent pour elle), et plus encore une caricature de l'indignation féminine, sous l'emprise d'émotions exacerbées, mais aussi une femme "castratrice" (de par les conséquences de sa colère), cumulant de fait bien un sacré best of de stéréotypes...
Et c'est ce que fustigent les internautes justement. Florilège de réactions sous la publication de Libération : "Vulgaire", "Pseudo choquant", "Réfléchissez avant de publier des trucs", "Lamentable caricature", "Quelle honte", "Dégueulasse ce dessin", "C'est très fin comme d'habitude", "C'est la honte", "C'est quoi votre putain de problème ?".
Si l'intention semble être de défendre le combat d'Adèle Haenel, une lutte qui perdure depuis quatre ans, le résultat convainc moins l'audience. Il faut dire que l'actrice est mieux représentée dans les manifestations féministes qui, à grands coups de pancartes et de slogans, iconisent depuis des années la "Jeune fille en feu" de Céline Sciamma.
Certaines iront même s'interroger sur le côté contre-productif d'une telle caricature, alors qu'Adèle Haenel est souvent représentée ainsi par ses détracteurs : le visage déformé par la colère, justement, comme si celle-ci était pathologique. Une manière quelque part de décrédibiliser la saine indignation de celle qui "se lève et se casse".
Pourtant, il y a beaucoup à percevoir à travers cette interpellation virulente.
L'expérience traumatisante d'Adèle Haenel bien sûr, mais aussi son refus global des concessions, alors que celle-ci avait par exemple pris la décision, pour le moins exceptionnelle, de prendre sa retraite du cinéma français, en protestation aux violences patriarcales. Difficile de résumer la densité intime et politique d'un tel cheminement à travers ce dessin.
Le verdict de ce procès est attendu le 3 février prochain.