Il faut lire le long entretien que vient d'accorder Judith Godrèche à Télérama, revue dont elle fait la couverture, aux côtés d'Édouard Durand, l'ancien coprésident de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Car l'actrice y évoque la lutte qu'elle porte sur elle, combat intime devenu collectif au fil de ses déclarations.
Sa plainte pour viol sur mineure contre le cinéaste Benoît Jacquot, #MeTooCinema, son discours aux César, sa minisérie "Icon of French Cinema" (une merveille)... Judith Godrèche s'est exprimée en long, en large et en travers, oui, mais voilà ce que l'on a notamment retenu : son soutien total à la "jeune fille en feu". Autrement dit : Adèle Haenel. L'actrice féministe qui a initié tout cet élan en France, lors des César 2020.
Adèle Haenel, instigatrice comme a pu l'énoncer ensuite Virginie Despentes du "on se lève et on se casse !", indignée par le sacre de Roman Polanski lors de la cérémonie, âme soeur de la cinéaste Céline Sciamma, lectrice des manifestes et essais les plus intersectionnels... Et source d'inspiration de Judith Godrèche. Oui oui !
C'est "Judith" elle même qui l'avoue à Télérama d'ailleurs : "J'ai été portée par les paroles qui m'ont précédée. Adèle Haenel aurait mérité, elle aussi, le soutien de toute la salle. Claquer la porte, comparé à un poing dans la figure, c'est quoi ? Contre un homme, il faut trente femmes..."
Ce que nous fait entendre Judith Godrèche est très intéressant. Elle suggère, et c'est un fait largement confirmé dans les médias, qu'il y aurait selon certains de "bonnes" et de "mauvaises féministes", moins glamour, écoutées, trop "en colère". La réalité lui donne raison : on se souvient par exemple de cette Une de Paris Match sur Angèle : "Féministe mais pas agressive". Difficile de faire plus éloquent.
"Quand Adèle Haenel s'est levée et a quitté la salle des César en 2020, elle aurait pu être rattrapée par une foule, mais les gens ont sans doute justifié leur passivité par sa colère. Quand on me parle de mon discours, j'ai le sentiment qu'il " convient ". Pourtant, moi aussi je suis très très en colère !", proteste l'actrice. Qui ne s'arrête pas là niveau introspection indignée...
Et Judith Godrèche de poursuivre sa réflexion : "C'est juste que moi ma colère je l'exprime différemment... et ça " convient ". Cela me pose problème tout cela. Dans cette société patriarcale, on juge différemment la manière dont une femme exprime sa souffrance : si c'est en claquant la porte, ça passe mal ; un joli discours, là, c'est tolérable. Mais il n'y a une aucune différence !"
En toute sororité, l'actrice rappelle l'importance de la prise de parole - chez Médiapart, auprès de Marine Turchi - et du geste d'Adèle Haenel. Et critique frontalement une différence de traitement qu'elle juge indigne. A cela, il faut encore ajouter les quatre années qui séparent ces deux témoignages, distance loin d'être anodine. Et malgré tout, une omerta persiste dans le cinéma français, à en croire la comédienne...
"Dans le milieu, un sentiment très fort est apparu dès le début [de sa prise de parole, ndlr] : la trahison. J'allais trahir un pacte, un secret, comme dans une famille", constate-t-elle. "C'est presque de l'ordre de l'obscénité. J'ai le sentiment de représenter quelque chose qui ne va plus avec le décor. Je suis un peu la fouteuse de merde ! On se dit " est-ce qu'on la réinvite à dîner ? " Mais moi, est-ce que j'ai envie d'y aller, à ce dîner ?"
Aborder ce milieu comme une "famille" où régnerait silence et secrets de Polichinelle, Judith Godrèche avait déjà pu le faire au sein de l'enquête extrêmement dense du "Monde". Elle poursuit : "Imaginez que là, en plus, il s'agit du cinéma, une société du spectacle où la notion du paraître est primordiale. C'est un milieu avec beaucoup d'amitiés, de connivences, d'intérêts réciproques... J'aimerais imaginer un renversement de forces. Malheureusement, l'argent, le pouvoir, l'autorité ont pour l'instant empêché les choses de changer"
Mais dans cette longue interview à deux voix, émane tout de même beaucoup d'espoir. Car Judith Godrèche croit en l'impact des paroles, et des actes (il y a peu, elle s'exprimait l'espace d'une audition majeure organisée par les délégations aux droits des enfants et aux droits des femmes de l'Assemblée nationale), en l'inspiration des autres femmes, en les nouvelles générations.
Lors de la Marche du 8 mars, les générations de néoféministes en question sont d'ailleurs venues l'acclamer d'un fédérateur "Judith, on te croit". Réaction modeste, sur Instagram où la vidéo de ces clameurs furent partagées, de la principale concernée : "Merci. J'espère être à la hauteur de tant de générosité".