"Je suis atterrée qu’on ait fait faire ça à des enfants"
Depuis sa retraite militante du monde du cinéma (et sa tribune à relire ici) et malgré quelques entretiens (son "bookclub" passionnant à France Culture), on entend très rarement Adèle Haenel. Au-delà des planches (cette pièce de Gisèle Vienne) c'est au tribunal que sa parole s'est faite entendre ces derniers jours.
Car du 9 au 10 décembre s'est tenu au tribunal correctionnel de Paris le procès de son agresseur présumé, Christophe Ruggia. Le cinéaste de 59 ans, qui a dirigé Adèle Haenel alors que celle-ci était encore enfant, est accusé d'agressions sexuelles sur mineure. Et plus précisément d'"agressions sexuelles aggravées" qui auraient pris place en dehors du tournage, entre ses 12 et 14 ans. Pour rappel, on vous détaille ces accusations graves ici.
Au final, une peine de cinq ans de prison dont deux ans ferme a été requise à l’encontre du réalisateur. Le tribunal rendra sa décision, c'est à dire son verdict, le 3 février.
Et aujourd'hui, Adèle Haenel a décidé de prendre la parole.
Pour la première fois depuis la fin du procès de Christophe Ruggia, l'actrice doublement Césarisée a décidé de sortir de silence. Sur les ondes de France Inter, face à Sonia De Villers, elle s'exprime : "Cet homme a agressé sexuellement l'enfant que j'étais, c'est lui qui l'a fait disparaître, qui l'a assassiné en fait... Je n’ai jamais eu l’occasion d’être cet enfant”.
Et la comédienne ne s'arrête pas là.
Il faut écouter Adèle Haenel.
Auprès de Sonia Devillers, elle dénonce : "Christophe Ruggia a essayé de faire croire durant ce procès qu’il est la victime de cette histoire or ce n'est pas le cas, on parle d'un adulte qui a 36 ans, presque 40 ans au moment des faits et qui s'organise pour avoir chez lui tout seul une enfant de 12 ans et l'agresser sexuellement tous les week-ends”
Et l'actrice de revenir sur ce moment très médiatisé où elle a décoché un "Mais ferme ta gueule !" à l'adresse du metteur en scène. Une exclamation décochée à l'accusé au tribunal, alors que celui-ci expliquait auprès du juge "l'avoir protégée" à ses débuts dans le monde du cinéma.
“Quand il dit ‘c’est moi qui lui ai donné son nom’, c’était l’agression de trop, c’est pas vrai, c’est faux, c’est un mensonge et une violence de plus, ça me renvoie à quand j’étais sur son canapé et où il me disait ‘sans moi tu n’es rien’... C'est sa violence, c'est son arrogance, c'est ça qui me fait péter un câble”, précise Adèle Haenel.
Une réplique choc qui a donné lieu à cette caricature très controversée.
Mais ce n'est pas la seule révélation de l'artiste...
Car Adèle Haenel poursuit : "On l'a tout le temps adultisée, cet enfant que j'étais, il a toujours été responsable. Même moi quand j'ai commencé à parler, je me suis dit que je le faisais dans MeToo en tant que femme. Et j'ai capté plus tard, c'est au fur et à mesure que j'ai compris. En fait, j'avais 12 ans. J'ai tellement oublié que je n'ai jamais eu 12 ans"
Pour la comédienne, ce n'est pas seulement en dehors du tournage, durant ces "week end" où l'actrice dit avoir été agressée sexuellement par le cinéaste (elle en parlait à Médiapart en 2020), mais durant le tournage en lui-même de ce film, alors qu'elle n'avait que 12 ans, que des violences sexuelles auraient été commises, par le biais de séquences intimes entre les (très) jeunes comédiens.
Adèle Haenel interpelle alors toute l'équipe...
"On m'a toujours dit que j'étais un adulte dans un corps d'enfant, donc c'est tardivement que j'ai pris la mesure de ce que ça veut dire, un enfant de 12 ans, en fait. Je suis atterrée, qu’on ait fait faire ça à des enfants. Et bien sûr, il y a le réalisateur, mais il y a un ensemble de corps de métier autour, une cinquantaine d'adultes en fait”
Une responsabilisation collective qui compte beaucoup pour l'actrice.
L'an dernier déjà, Adèle Haenel "annulait de son monde" le cinéma français, et fustigeait : "Ça [en incommode certains], ça les dérange, que les victimes fassent trop de bruit, ils préféraient qu'on continue à disparaître et crever en silence. Ils se donnent la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski. Ils sont prêts à tout pour défendre leurs chefs violeurs. Vous avez l'argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m'aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève"
Des mots forts s'il en est.