"Beauté" et "puissance de l'art" : pourquoi le retour d'Adèle Haenel au théâtre nous réjouit déjà

Quand Adèle Haenel fait ses sorties, c'est toujours avec fracas. On se souvient à ce titre de son départ de la cérémonie des César en 2020, suite au sacre de Roman Polanski et de son J'accuse. "La honte !", s'était exclamée l'actrice, désertant les lieux en compagnie de la cinéaste Céline Sciamma.

Quelques années plus tard c'est une autre sortie retentissante qui s'est faite entendre : l'actrice a fait savoir qu'elle quittait le monde du cinéma. Et ce, par le biais d'une lettre en forme de manifeste incendiaire envoyée à "Télérama", suite à l'ambitieuse enquête que lui avait justement dédié le magazine.

On la (re)lit : "Certains se donnent la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski, des Boutonnat. Ils sont prêts à tout pour défendre leurs chefs violeurs... vous avez l'argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m'aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève".

Une "grève" donc - clin d'oeil aux mobilisations citoyennes où l'actrice fut aperçue - mais qui ne s'étend pas à tous les champs artistiques. Qu'on se rassure, la voix d'Adèle Haenel va encore résonner. Mais c'est sur les planches qu'il faudra désormais la chercher. Un come back au théâtre vient effectivement de nous être confirmé, et la chose est stimulante à souhait.

Adèle Haenel aime depuis des années diversifier les domaines artistiques : on se souvient aussi bien de sa participation au magnifique album de Kompromat (le clip de la chanson "De ton âme à mon âme") que sa narration du documentaire Césarisé Retour à Reims, inspiré du récit intime et politique du chercheur et écrivain Didier Eribon. Mais au-delà de ça, c'est un autre art qui compte beaucoup à ses yeux depuis quelques années : le théâtre, donc.

On a pu voir l'actrice dirigée par Gisèle Vienne dans L'Étang (2021) et Le Voyage sans Fin (2022). Et c'est encore auprès de cette metteure en scène et chorégraphe féministe qu'Adèle Haenel s'apprête à performer. Une collaboration qui s'avère beaucoup moins anecdotique qu'il n'y paraît.

La principale concernée expliquait d'ailleurs pourquoi dans sa lettre : "Depuis 2019 je poursuis mon travail artistique dans la collaboration théâtrale et chorégraphique avec Gisèle Vienne. C'est une artiste qui construit une des oeuvres les plus puissantes que j'ai jamais rencontrées".

"Face au détachement, à la vacuité et à la cruauté que l'industrie du cinéma érige en principe de fonctionnement, le sens, le travail et la beauté qu'elle met en permanence en jeu sont une lumière qui me permet de garder la foi dans ce que peut vouloir dire la puissance de l'art", se réjouit Adèle Haenel.

Un enthousiasme qui explique en partie pourquoi l'on ne peut qu'être enthousiasmé à l'idée de voir la jeune fille en feu brûler les planches.

Le nouveau spectacle de Gisèle Vienne au sein duquel l'actrice s'est investie s'intitule "Extra Life". Ce projet artistique sera visible lors de dix représentations du 6 au 17 décembre dans le cadre du Festival d'automne de Paris qui prendra place à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Toutes les informations sont d'ors et déjà à retrouver ici.

L'histoire de Extra Life ? Elle est très intrigante, puisqu'il sera question des retrouvailles poignantes entre un frère et une soeur, tous deux traumatisés par un drame et incités à se reconstruire dans un monde en péril afin d'écrire l'avenir. Un projet qui semble en osmose avec l'intention d'Adèle Haenel : fuir une industrie "qui produit à dose homéopathique des films sur les femmes exceptionnelles, histoire de capitaliser toujours davantage sur notre dos", pour retrouver une forme d'authenticité "brut". Et de "beauté", donc.

Il s'agit aussi pour elle de se dédier à un art qui ne nie pas sa portée politique. Car Gisèle Vienne est une artiste engagée, dont les discours sortent des tripes. A "Numero", elle expliquait l'an dernier : "L'art donne la possibilité de développer des outils d'action. L'expérience sensible est au coeur du rapport au monde. C'est comme manger. Sans ça, on crève".

"Aujourd'hui, on essaie de bâillonner nos corps, nos sens... En tant qu'artiste, il faut avoir conscience qu'on peut travailler, mais pas au service du pouvoir en place, d'une partie du cinéma mainstream qui place de manière récurrente les hommes blancs comme les sauveurs du monde".

Difficile face à ces mots de ne pas reconnaître la prose tout aussi militante et antipatriarcale d'Adèle Haenel. Une grande performance en devenir pour l'actrice ? Réponse en décembre...