Cela fait un mois que le milieu du cinéma français s'est retrouvé bousculé par un séisme. Une enquête de "Médiapart" a révélé en avril dernier les témoignages accablants de 13 femmes dénonçant l'attitude de Gérard Depardieu: propos salaces décomplexés, mains posées sur les cuisses, les jambes et les fesses, humiliations en public, insultes sexistes. La plupart du temps, ce sont des jeunes actrices qui en témoignent.
En 2022, Gérard Depardieu avait été mis en examen pour "viols" et "agressions sexuelles". La première voix à avoir dénoncé son attitude est celle de l'actrice Charlotte Arnould. La comédienne accuse l'acteur de l'avoir violée dans son hôtel particulier du 6e arrondissement de Paris en 2018. Charlotte Arnould s'exprime à travers ses réseaux sociaux, au sein des enquêtes des médias. Mais elle n'était jamais intervenue à la télévision.
C'est désormais chose à faite : le 23 mai dernier, l'actrice a dédié une interview à BFMTV. Face à la journaliste Aurélie Casse, la jeune femme de 27 ans revient sur ses accusations, son besoin de porter plainte, la difficulté éprouvée à libérer la parole. Elle livre un témoignage glaçant. Et très important.
Important, pourquoi ? Car Charlotte Arnould revient d'emblée sur l'omerta qui règne dans le cinéma français, notamment lorsqu'il est question de "monstres sacrés" jugés intouchables au sein de la profession.
D'où le sentiment d'impunité généralisée. Elle explique : "Tout le monde savait. Je pense que ça n'a étonné personne. Tout le monde sait qu'il se comporte comme ça sur les tournages. Personne n'est surpris. Et il y a des gens qui permettent que ce soit possible".
Charlotte Arnould connaît Gérard Depardieu depuis longtemps : c'est un ami de la famille. Son père l'a en estime, ils se fréquentent. "J'ai toujours vécu en sachant que Depardieu était un proche. Il m'a tenu dans ses bras quand j'étais bébé. Il y avait une confiance", confirme-t-elle. Mais quant à l'âge de 22 ans l'actrice se rend chez l'artiste, qui l'a invité pour prendre de ses nouvelles, "assez rapidement tout bascule".
La comédienne explique avoir subi deux viols, à une semaine d'écart. Ce qu'elle détaille sur BFM TV, c'est la difficulté, justement, de mettre en mots le viol, les agressions sexuelles. Dans beaucoup de témoignages, on constate la même chose : le phénomène de sidération, notamment, qui s'empare de la victime. On l'écoute : "Je sais qu'il s'est passé quelque chose de très grave. Je vais mettre un petit peu de temps pour l'intégrer et le conscientiser". D'où, ensuite, la démarche, loin d'être évidente, de porter plainte.
En décembre 2021, dans une publication très relayée sur les réseaux sociaux, Charlotte Arnould expliquait déjà l'importance de cette initiative, qui pourrait pourtant mettre en péril sa carrière : "Aujourd'hui, j'ai besoin de vivre dans la vérité. Je vis cachée et dans le silence. Ce n'est plus supportable".
Pour la jeune actrice, tout ça, c'est trop : "On ne peut plus fermer les yeux". Comme Adèle Haenel sur le plateau de "Médiapart" il y a déjà trois ans de cela, Charlotte Arnould en appelle à ce que propose la révolution #MeToo depuis 2017 : la justice pour les victimes, et un renversement du système patriarcal qui euphémise les violences sexistes et sexuelles. Adèle Haenel et Charlotte Arnould composent le rare panorama de celles qui dénoncent une certaine loi du silence dans le cinéma français. Une démarche complexe, difficile.
A ce titre, impossible d'oublier les mots d'Adèle Haenel au sein de sa lettre relayée par Télérama, qui faisait justement référence aux accusations portées envers Gérard Depardieu : "Il y a ceux qui sont si riches qu'ils se croient d'une espèce supérieure, ceux qui spectacularisent cette supériorité en se vautrant dans des bruits de cochon, en chosifiant les femmes et les subalternes". "Grognements insistants", bruits porcins, "ambiance sexualisée", étaient les termes employés par les jeunes femmes témoignant dans l'enquête de Médiapart.
Le témoignage de Charlotte Arnould, on l'a compris, est important pour entendre la nécessité d'un #MeToo qui peine à percer dans ce milieu, en France. Elle dit aussi entre les lignes l'ambivalence de l'expression "libérer la parole". Car la parole, en soi, ne "libère" pas la victime. L'actrice explique : "Tout mon être est impacté. Je vais pas bien, mais j'arrive à survivre". Ce qui importe d'autant plus face à cela, c'est la libération de l'écoute, pour reprendre d'autres mots : ceux de Camille Kouchner.
Gérard Depardieu dément quant à lui depuis le mois dernier "tout comportement pénalement répréhensible". "Je suis innocent et je n'ai rien à craindre", se défendait-il en janvier 2021.