"Mon livre a créé un phénomène qui m'a complètement dépassée, mais dans lequel je me sens une responsabilité". Camille Kouchner s'est longuement entretenue auprès du magazine L'Obs. Elle est revenue sur la réception de son livre, La familia grande, sorti il y a un an de cela, au sein duquel elle accuse d'inceste son beau-père, le politologue Olivier Duhamel. Des violences dont aurait été victime son frère jumeau.
Olivier Duhamel avait démissionné de ses fonctions au sein de la Fondation nationale des sciences politiques suite à ces révélations. Celles-ci avait engendré un vaste mouvement de libération de la parole sur les réseaux sociaux, #MeTooInceste. "Je déteste cette notion de libération de la parole. Pour moi, elle charge les victimes d'agressions sexuelles d'une responsabilité immense. C'est comme si on considérait qu'elles n'avaient jamais parlé auparavant et qu'il peut enfin se passer quelque chose parce qu'elles se décident à le faire. C'est à nouveau inverser les rôles entre coupables et victimes", réagit aujourd'hui Camille Kouchner.
"Je n'ai pas l'impression que les victimes ne se manifestent pas. Il y a différentes manières de manifester quelque chose qui ne va pas : un mal-être, un corps défaillant, des angoisses... On peut être emmuré dans le silence et donner des signaux. La parole se libérerait enfin ? Mais ce n'est pas vrai ! C'est juste que la société prend enfin conscience qu'il y a des maux collectifs", déclare-t-elle encore dans cette interview-fleuve.
Et Camille Kouchner de poursuivre : "Il y a peut-être une libération de l'écoute, mais si nous sommes tellement nombreux à parler, ça montre à quel point les violences sexuelles ne sont pas encore assez prises en compte". Un état des lieux amer au sein duquel doit être privilégié le témoignage des victimes, et leur prise en compte. "La parole, quand elle crée un lien avec d'autres, nous rend sujet à nouveau", affirme l'autrice.
Au journal, elle exprime ses pensées aux victimes, des agressions sexuelles perpétues au sein de l'Eglise catholique notamment : "Ceux qui témoignent sont très courageux de parler, mais surtout d'avoir survécu. Je ne veux pas que les gens pensent qu'ils ne sont pas courageux parce qu'ils ne parlent pas. Ils sont hyper courageux".
Camille Kouchner détaille enfin ses idées pour une meilleure prise en charge des victimes d'inceste. "Il faudrait que la police, la gendarmerie, les magistrats soient mieux formés. Quant au droit, je ne comprends pas que l'action publique ne se déclenche pas seule. Des faits sont exposés. La société doit les prendre en compte : c'est aux policiers, magistrats, puisqu'il s'agit de justice, de vérifier la véracité de ces faits ; et pour qu'ils le fassent, c'est à l'action publique de se mettre en branle immédiatement, au procureur d'ouvrir des enquêtes".
"Pensez, encore une fois, au poids qui pèse sur les victimes ! 'Tu vas porter plainte ? Tu dois savoir qu'après tu ne verras plus tes parents'. Alors on ne porte pas plainte dans les temps prescrits par la loi et les plaintes sont classées... Ça me paraît affreusement logique. Même quand on devient adulte, c'est extrêmement dur de porter plainte", déplore encore l'autrice de La Familia Grande. Et Camille Kouchner de conclure : "On n'a toujours pas compris ce qu'est l'inceste ! On marche sur la tête. Il faut remettre le monde à l'endroit".